Sur le chemin pour Yosemite Village, les voitures et les cars se font nombreux.
Les touristes se prennent déjà en photo devant les premiers points de vue. Beaucoup de monde dans ce petit bout de forêt, mais nous sommes en pleine saison, ce n’est pas une surprise. On savait où l’on mettait les pieds.

Impossible de se garer près du Village, nous nous garons donc quelques kilomètres plus loin, dans un des nombreux parkings présents autour du site. Pour rejoindre le Village, un bus est à notre disposition. Il couvre en fait une dizaine d’arrêts desservants l’accès aux deux parties du Village, aux parkings et aux proches campings. Cela permet de limiter la présence des voitures, ce qui est plutôt bien vu. Mais au premier abord il est clair que c’est assez surprenant de tomber sur ce système de navettes très calibré et de parkings, qui font plus penser à un parc d’attraction qu’à un parc naturel.

On arrive enfin à ce fameux Village, composé de quelques bâtiments en bois sombres, ambiance Davy Crockett. L’accueil se trouve dans le plus vaste d’entre eux. Une employée nous y informe qu’il sera très difficile d’obtenir une place à Camp 4. Nous nous rabattons alors au Wilderness Center.

On y entra pour recevoir quelques informations sur les randonnées intéressantes à faire. On en ressortira avec un « permit » pour camper en pleine nature ! A l’intérieur, des grandes cartes du parc et des Rangers à votre écoute. Chapeau façon western, chemisette grise affublée d’un insigne dorée au niveau du torse, pantalon vert kaki. Leur simple uniforme vaut le déplacement.

Mais ils sont plutôt cool, et ils aiment leur boulot.
Ils nous indiquent les itinéraires sympas avec beaucoup de patience et de passion. Pour ceux désireux de passer la nuit hors des sentiers battus, il faut obtenir donc un permis. Qui est nominatif et qui indique dans quelle zone du parc il est éligible. De cette façon les Rangers répartissent les gens équitablement, et leur interdisent certains secteurs en cas de danger (feu, ours, etc…).

Après nos randonnées choisies ainsi que nos points de chutes, il y a deux petites subtilités.
Il faut savoir en effet que pour deux nuits dans la nature, il faut passer une nuit dans un camping qui nous est réservé, le Backpackers Campground. Bon, pourquoi pas…

Ensuite la blague c’est qu’on apprend que l’on doit louer un petit garde-manger pour y stocker notre nourriture.
Il consiste en un petit tonneau d’une cinquantaine de centimètres, à l’épreuve des ours. Chaque soir il faut donc le remplir et le cacher le mieux possible, loin du campement. 
Là je me dis ok, on se barre en mode Into The Wild, mais vraiment !

Aucune panique cependant, juste un doux sentiment de transgression.
Une certitude de vivre quelque chose d’épique, loin de sa zone de confort.

Après un petit jeu de questions-réponses avec les Rangers pour s’assurer que l’on connaisse les rudiments de la vie en milieu sauvage, nous ressortons du Wilderness Center avec notre permis et notre « bear canister » sous le bras.

Nous reprenons notre bolide d’un autre temps, en route pour notre première petite randonnée. Qui n’aura pour autre objectif que de se baigner sur un plan d’eau à proximité. En cette fin de juillet, le soleil vous asphyxie en effet pas mal, et faire trempette devient une forte (seule ?) source de motivation.

Vingt bonnes minutes de marche plus tard, dans la poussière rocheuse, nous arrivons enfin au niveau d’un plan d’eau salutaire. Une détente aquatique pour autant de courte durée. Une petite demi-heure plus tard nous faisons en effet demi-tour pour nous diriger vers Glacier Point Road. Vers la « grosse » randonnée. Celle qui nous mènera au fond des bois, pour y passer la nuit.

Ma mémoire me fait défaut, mais je pense que notre point de chute se situait autour de McGurk Meadow Trailhead.
On y laisse la voiture, préparons nos sacs, et la rando peut commencer.

La première partie se passe dans les bois, dans une forêt assez dense.
Enfin dense, pour Yosemite, on se comprend. Cela reste assez sec, rocheux et dégarni, mais les arbres sont bien présents.

Mon sac me lacère déjà les épaules, et mon souffle commence également déjà à me faire défaut après seulement une dizaine de minutes de marche. Il faut dire que le dénivelé de la piste n’aide pas. Chaque montée est une épreuve, chaque descente une fausse récompense. La victoire, c’est la présence du moindre faux plat, qui permet de respirer un peu.

Le temps passe, je sers les dents, et nous passons dans une zone plus sympa.
Nous sortons des bois, et pénétrons dans des clairières. Telles de petites oasis végétales, nous les traversons, ces ilots d’herbes hautes, baignées par le soleil. Des petites fleurs ainsi que des troncs d’arbres parcourent également le chemin. Tous mes sens sont aux aguets, et j’apprécie vraiment le moment, en laissant trainer mes mains sur les hautes herbes, à la manière d’un Maximus.

Je suis agréablement surpris de ne croiser quasiment personne.
On arrive à se sentir seul au monde. Même le fait d’avoir croisé deux ou trois groupes de marcheurs n’était pas vraiment gênant. Car nous sommes dans le même état d’esprit. Des randonneurs campeurs, qui ont passé la nuit, ou qui vont passer la nuit dans les bois, chargés comme des mules.

Il n’est pas rare que l’on se partage les infos pour se rassurer.
On se prend 30 secondes pour se mettre autour d’une carte et pour s’assurer que chacun se trouve dans le bon sentier et dans la bonne direction. C’est un esprit de franche camaraderie qui est lui aussi bien plaisant, solidaire et éphémère.

Les prochains kilomètres se passent à nouveau dans les bois, avec des petites parties boueuses.
On cravache tous dans le même sens, et nous finissons tant bien que mal à arriver dans la zone que nous avait indiquée le Ranger. Ne reste plus qu’à trouver un fire pit maintenant !

Après une petite exploration, nous en apercevons un au bord d’une petite chute d’eau, sur un énorme pan en granite en guise de sol. Nous nous installerons finalement plus en hauteur, à une centaine de mètres plus loin, en bordure d’un sous-bois. Pour y accéder, il faut se frayer un chemin entre des troncs d’arbres qui vous barrent la route. Puis faire un numéro d’équilibriste sur des troncs et des grosses pierres pour traverser une rivière. Epique à souhait !

Nous y sommes.
Seuls, dans les bois.

Et vous savez quoi ?
C’est bon.

De voir que l’on peut survivre avec pas grand-chose.
De voir que l’on peut encore vivre sans tout le confort et l’assistanat moderne.

Un peu de bois récupéré dans la forêt pour faire un feu.
Faire bouillir de l’eau puisée dans la rivière en contrebas.
Se faire des pâtes sauce tomate de façon presque normale…

Il y a un côté magique d’être autosuffisant à ce point.
Et rassurant également.

Je n’ai jamais regardé un plat aussi banal avec autant d’appétit.
Après un effort physique conséquent j’avais peur de n’être jamais rassasié par un plat de pâtes. Mais à ma grande surprise, et cela se confirmera les jours suivants, le corps s’y fait très bien. Il prend ce qu’il y a à prendre, et vous laisse ensuite tranquille.

Le bonheur ultime à ce moment précis, c’est de se siroter une petite bière, préalablement rafraichie dans la rivière. Il s’agirait de ne pas se laisser abattre. Et à ce niveau-là, Tamir n’est pas le dernier.

Après un brin de vaisselle, nous profitons des dernières minutes de jour pour apprendre à jouer à Taki.
C’est un jeu de carte de Tamir, de création israélienne mais qui reprend en grande partie le fonctionnement du jeu Uno. Ce qui était plutôt cool, comme cela l’apprentissage fut assez rapide.

Avant que la nuit ne nous enveloppe complètement, il faut s’atteler au remplissage du bear canister, puis à lui trouver une cachette. Planque que l’on trouvera à une dizaine de mètres de notre campement, entre des troncs d’arbres. Notre camp, comme dit précédemment, se trouve dans un sous-bois, qui est vraiment large et assez dense. Le genre d’endroit où l’on imagine parfaitement y croiser un ours. Fort heureusement pour nous, ce ne fut pas le cas !

Aux petites heures du matin, je me traine moi et mon réflex pour un petit tour des environs.
Histoire de profiter des premiers reflets du soleil. La nature se réveille. Le couleurs sont différentes. Dans cette zone se trouve en plus beaucoup de cours d’eau, qui ont tous taillé la roche au fil des siècles, et qui nous offre aujourd’hui des résultats uniques. Tout en finesse, en courbe.

Un petit déj’, une courte promenade à crapahuter les alentours, un peu d’eau glaciale de la rivière sur le visage en guise de toilette, et il est déjà temps de plier bagage. Il nous faut en effet nous rendre de nouveau au Wilderness Center pour retirer notre deuxième permis. Avant cela, grosse motivation, il faut reprendre les backpacks et faire tout le chemin inverse pour retrouver la voiture. Toujours un vrai supplice et un combat avec moi-même, mais une joie aussi de passer de nouveau dans les petites clairières de la veille.

Nous reprenons la route pour Yosemite Village, qui nous amène au fur et à mesure vers plus de civilisation.
Une fois le deuxième permis en poche, nous déjeunons sur le pouce près du parking. Grâce au réchaud de Tamir, nous nous concoctons des omelettes.

En bordure de forêt. L’air de rien.
A cinq mètres de l’asphalte du parking…
Priceless.

Avant de repartir pour notre prochaine randonnée, nous ne résistons pas à piquer une petite tête près de la rivière qui longe le Village. Et nous ne sommes pas les seuls. En haut d’un gros rocher au milieu de l’eau, qui fait office de plongeoir, nous croisons d’ailleurs deux français, un père et son fils ado. Le patriarche essayant d’impressionner son fils mais qui a raté de peu de se casser la figure durant son saut !

Nous, après une bonne baignade, nous nous dorons la pilule sur ce rocher.
Après être quasiment sec, je n’avais pas vraiment prévu de sauter dans le vide. Risque d’hydrocution, tout ça… Sauf qu’évidemment, mon Tamir, lui c’est le blond par excellence. Celui qui n’a jamais le nez qui coule au ski. Celui qui plonge en deux-deux dans l’eau sans se poser de question. A quoi ça sert de toute façon ?

Donc bon, à cause de ma sale fierté tenace, je me lance.
Et c’est là que je me rends compte que cela faisait bien longtemps que je n’avais pas fait de tel saut. Il n’y a que quelques mètres, mais le temps de chute est suffisamment long pour que j’ai l’impression d’être hors de mon corps. Comme si j’étais en vue subjectif dans un jeu vidéo, avec juste mes jambes poilues en ligne de mire.

Et d’attendre.
De voir l’eau qui s’en rapproche de plus en plus. De se dire que bon, le plus dur est fait de toute façon, il n’y a plus à penser. Se sentir comme une vulgaire pomme. Et enfin rentrer dans l’eau, remonter à la surface et ressentir une joie immense. Une joie primitive qui doit se résumer à « ouiii je suis encore en vie ».

Après s’être ainsi bien rafraichi, il est l’heure de reprendre la route.
En chemin, nous nous arrêtons à Tunnel View. Endroit prisé des touristes car cette vue c’est un peu la carte postale de Yosemite.

Votre vision peut se porter sur l’immensité de la boisée Yosemite Valley, elle-même bordée par de colossales formations rocheuses grises. La très visible El Capitan, et la mythique Half Dome, au loin sur l’horizon. Ce dernier, comme son nom l’indique, est un dôme granitique, et c’est en le voyant que l’on arrive vraiment à comprendre ce qu’ils entendent par là. Un aspect très atypique, et une taille plus qu’imposante (2 693 mètres).

Nous repassons sur Glacier Point Road, et nous nous arrêtons à Mono Meadow Trailhead, qui se situe quelques kilomètres plus loin que notre premier point de chute. L’espacement entre les deux n’est pas énorme, mais la grande différence c’est qu’hier nous avons randonné en direction du nord, or qu’aujourd’hui on s’enfonce complètement à l’est.

Je prends cette fois grand soin d’alléger au maximum mon sac pour moins souffrir par la suite, mais le résultat sera identique. Ma couette, harnachée en bas de mon backpack, doit mine de rien bien le tirer vers le bas. Mes épaules en prennent d’autant plus cher.

Durant ces 5 km de rando, je vais encore suer à grosses gouttes.
L’environnement dans lequel nous évoluons est différent de celui de la veille, pour mon plus grand plaisir. La première partie se passe dans une forêt assez épaisse, avec un dénivelé de fou. Nous passons encore par quelques clairières dont les hautes herbes sont balayées par une petite brise.

La deuxième partie est très surprenante, car nous sortons des bois pour rentrer sur un terrain ouvert, avec un sol recouvert de sable. Notre vision n’est plus bridée et nous pouvons véritablement nous rendre compte de l’immensité des paysages que nous traversons. Des grandes vallées boisées s’élèvent au loin, parsemées par endroit par de grands monticules de pierre, comme le mont Star King qui nous fait face.

Pour finir, nous pénétrons de nouveau dans les bois, pour y effectuer des lacets interminables, avec toujours un dénivelé important. Les faux plats se comptent sur les doigts d’une main depuis le début de cette rando… Nous arrivons enfin dans la zone prévue, et comme hier, après quelques recherches nous nous installerons sur le deuxième fire pit trouvé.

Notre petit coin se trouve sur une butte, et en contrebas, à une dizaine de mètres, se trouve une rivière.
Ou devrais-je dire, le réfrigérateur à bière. L’endroit où se trouve notre campement parait moins propice aux ours qu’hier, ce qui n’est pas plus mal. Mais par contre il est propice à d’autres types d’animaux. C’est ainsi qu’en fin d’après-midi, deux cerfs passent tranquillement à quelques mètres de notre camp. Pas plus troublés que cela !

Au menu ce soir, du riz.
Du si précieux riz que je chéri fort.

Aliment si banale en dehors, mais ici je le regarde se verser dans l’eau bouillante avec appétit.
Comme un candidat à Koh Lanta.

Quelques knackis pour l’agrémenter tout de même.
Dont j’aurais toute la peine du monde à faire cuire, étant un piètre tailleur de bâton. Petit bonus supplémentaire, à la nuit tombée, lorsque seules les flammes orange viennent nous cracher un peu de lumière, nous ouvrons un paquet de marshmallows.

Un vieux fantasme de gosse encore contenté !
Assez sceptique de prime à bord, mais au final je dois m’incliner…ça déchire.

Du sucre, du sucre !
Ce petit bout de chose, que l’on réchauffe patiemment, que l’on caramélise avec amour, pour finir en feu d’artifice dans votre bouche.

Nous passerons pas mal de temps ce soir-là à veiller, et à partager quelques histoires.
Pour ce qui est notre dernière nuit à l’écart de la civilisation.

Pour y revenir précisément, c’est un plaisir certain.
Bien plus grand que de passer la nuit dans un camping. Je n’ai jamais ressenti d’inquiétude, même au milieu de rien.

Pour aimer ces instants reculés, il est évident qu’il faut aimer un peu aussi l’introspection.
Ou au moins avoir une tendresse particulière pour l’écosystème qui nous entoure. Se trouver loin du bruit, de son téléphone ou d’internet, peut paraitre assez perturbant au départ. On ressent un vide. Mais très vite, sans démagogie, on ressent un réel bien d’être coupé de tout ça.

Pour un moment donné.
Le vide, ce n’est pas la fin.