On The Road III – #07 – 2013
De retour au camp, on ne traine pas trop pour se coucher.
La température est vraiment plus douce que la nuit dernière, ce qui est bien appréciable.
Mon fin drap acheté il y a quelques heures viendra consolider ce sentiment de confort rustique mais douillet.
Ni matelas, ni oreiller. Mais une nuit sans frisson devient maintenant une nuit royale pour moi.
Je me réveil sur les coups de 7h, et décide de me lever histoire de prendre quelques photos des dunes au petit matin. Malheureusement pas de lumière diffuse matinale comme je les aime, mais à la place un brouillard intense.
Je me faufile rapidement sur le sentier emprunté la veille, puis arrive aux dunes, totalement prises par le brouillard. Difficile de voir au-delà de vingt mètres. Ce qui rend un spectacle assez étrange, très fantomatique. Une ambiance que j’ai eu bien du mal à retranscrire avec mon appareil. Peut-être que j’aurais pu avoir de meilleurs cadres en m’aventurant plus à l’intérieur du champ de dunes, mais je n’ai pas voulu trop m’y aventurer, par crainte de rentrer trop tard.
De retour au camp, chacun commence doucement à se lever.
Un des gars nous signale qu’il a vu que les douches étaient gratuites.
On s’y rendra tous un par un !
Se sentir propre, il n’y a pas de plaisir plus simple.
En parallèle, on se refait un barbecue avec la viande qu’il nous reste. Un peu spécial de s’envoyer de la viande rouge à 8h du matin. Mais lorsque l’on voyage en mode roots, chaque repas est un peu un cadeau, donc on n’y réfléchit plus trop !
On reprend ensuite notre chemin vers le sud, en rejoignant la route 101.
En musique de fond, les Beatles, Bob Dylan et d’autres groupes plus obscurs pour moi.
Ce qui colle parfaitement à ce roadtrip. Ecouter ces chansons a une saveur particulière en plus pour moi, car j’arrive maintenant à y déchiffrer de plus en plus de mots, voir des couplets entiers. Tous ces textes qui étaient englués avec la musique dans un ensemble uniforme commencent tout doucement à prendre sens. Un horizon différent s’ouvre à vous après un an en immersion…
Le soleil, toujours au zénith, sent bon la Californie, qui se cache à quelques 140 miles plus au sud.
La route suit maintenant des grands lacets qui longent le littoral. Les plages de sable laissent place à un front de mer moins hospitalier, mais tout aussi beau.
En effet, les côtes sont toutes formées de roche grise, en éboulis, avec des gros morceaux imposants présents de manière disparates, du rivage jusqu’à 500 mètres sur la mer. Cette géologie me rappelle celle d’Etretat, mis à part la composition de la roche et sa couleur bien entendu !
Nous faisons un stop dans un petit îlot urbain.
Ilot qui se résume à une rue et quelques commerces au milieu d’une nature désertique, où les virevoltants doivent être plus nombreux que les habitants.
On tombe sur une grande pâtisserie, avec un énorme comptoir, tenue par une petite grand-mère pas des plus aimables. Mais les produits ont l’air vraiment bon et les prix pas trop élevés. Je prends un sac contenant d’énormes cookies pour une poignée de dollars, tandis que Lee s’achète une sélection de donuts.
Et comme il a bien fait. Ils sont de tailles conséquentes, et leurs goûts incroyables.
On sent le savoir-faire. J’ai mangé un Apple Fritter, et ça n’a vraiment rien à voir avec ceux de Tim Hortons !
C’est comme comparer le pain d’un hyper marché avec le pain d’une boulangerie.
Nous remontons dans le van, et quelques minutes plus tard William nous gratifie d’un virage impromptu à 90°, pour atteindre un petit baraquement anodin de l’autre côté de la voie. Qui se révèle être…un drive-thru coffee. Le début d’une longue série pour moi, où je vais découvrir l’amour des américains pour les drive-through, aussi bien au bord d’une route perdue que dans des métropoles comme Los Angeles.
Un peu plus tard, mon imaginaire explose lorsque l’on m’annonce que nous venons de quitter l’Oregon pour la Californie. J’entre dans le vif du sujet ! Les panneaux indiquent San Francisco à moins de 300 miles maintenant. Encore une sacrée trotte, mais il faut bien prendre son mal en patience.
Côté bordure de route, le seul changement notable est le croisement de pas mal de zones pavillonnaires sur pilotis.
En effet nous passons à proximité de plans d’eaux, et la plupart du temps j’y aperçois des maisons sur pilotis, de toutes les couleurs et regroupées entres elles comme dans un quartier.
Chacune dispose d’un ponton et d’une petite barge pour circuler. Une petite vie rêvée avec les rayons du soleil qui se reflètent sur l’eau et qui rendent l’endroit encore plus chaleureux. Je n’ai pas pu m’empêcher de faire le rapprochement avec la série Dawson.
A bord du Vanagon, les discussions fusent. De manière continue, comme le flot d’une rivière.
Le genre de truc bête qui m’impressionnera toujours. Ne partir de rien et toujours réussir à rebondir sur quelque chose des heures durant.
Ca parle de tout, de rien, ça blague, ça chambre.
Les discussions légères croisent parfois d’autres plus sérieuses.
Chacun apprend des autres, et il est amusant de se trouver beaucoup de points communs. Ou du moins d’être sur la même longueur d’onde. Cinq personnes, cinq inconnus les uns les autres, cela fait beaucoup à questionner, à apprendre.
Surtout cinq voyageurs.
Pourquoi voyager.
Quel en est le sens, il y a-t-il un but ?
Chacun d’entre nous possédons notre histoire et nos réponses.
Je me souviens d’une réflexion de William qui m’avait assez parlée, et qui donnait à peu près cela :
« Un jour, un mec m’a dit qu’il y avait deux types de personnes dans le monde. Ceux qui dans un restaurant commande toujours la même chose de peur d’être déçu, et les autres. Cela m’a fait du mal, et ce fut compliqué de l’admettre, mais je faisais partie de la première catégorie. Et à y penser c’est tellement bête, pourquoi se limiter à quelque chose de connu ? Pourquoi s’enfermer dans une routine au lieu d’essayer de nouvelles choses ? Après ça, au fur et à mesure, j’ai commencé à changer mon comportement ».
Les heures passent, la fatigue se fait sentir, les siestes se font plus rapprochées.
La journée est sur le déclin également.
Nous nous arrêtons à Garberville pour décider où nous allons dormir la nuit.
Johnny part prendre un peu d’informations dans un magasin, puis le temps qu’il nous explique ce qu’il a glané comme infos, une personne sur le trottoir nous offre ses conseils. Etant un natif du coin, ce petit homme au visage très fatigué et usé était le mieux placé pour nous aider.
Il nous indique qu’il y a plusieurs terrains de camping pas très loin à l’extérieur de la ville, en pleine forêt et longés par une rivière, Eel River. Vendu.
Comme je m’en doutais à moitié, cette personne est dans le besoin, et demandera quelque chose en échange des informations qu’il vient de nous donner. On lui file une cigarette, et on lui demande ce qu’il lui ferait plaisir comme plat, car nous nous rendons dans un grand store qui se trouve à 200 mètres.
Durant ces pourparlers, je m’attarde sur les environs.
L’atmosphère est vraiment très spéciale, un vrai plongeon dans le film Thelma et Louise.
Fin de journée, le ciel nous gratifie d’un rouge ocre des plus dépaysant. Cette teinte imprègne toute la ville. La luminosité étant faible, le contraste n’en est que plus fort.
La grande rue du downtown s’articule autour de bâtiments pas très hauts de plafond, ce qui permet d’avoir une vue sur les collines à l’herbe jauni qui entourent la ville.
On se rapproche du magasin, les autres y rentrent faire les courses, moi je reste un peu sur le parking près du van, pour scruter les clients, scruter les habitants des environs. En méditant sur le fait que je me trouve ici. Sur la probabilité que je sois à cet endroit, de rencontrer ces gens dans ce coin paumé des U.S.
Des familles aux groupes de jeunes, tous ont un fort caractère.
Ou un manque de savoir vivre, c’est selon.
En même temps pour vivre dans ces espaces désertiques, il ne faut pas être du genre pied-tendre.
J’observe la scène, et m’en amuse.
Mes compagnons reviennent les mains pleines, et on reprend la route pour quelques kilomètres, pour notre dernière nuit ensemble. Je ne sais plus vraiment pourquoi, mais certains campings étaient fermés ou pleins. Megan nous a fait gagner du temps, car un de ses amis travail dans ce domaine localement. Après quelques échanges d’sms, il nous envoi à Richardson Grove State Park.
L’obscurité est déjà bien installée lorsque l’on pénètre dans le sous-bois qui conduit à ce camping.
Ce dernier est vraiment vaste. Une grande zone avec des places sont déjà présentes près de l’entrée, puis en continuant le petit chemin, on sort de la forêt pour arriver devant le fameux cours d’eau Eel River.
Ses berges sont argileuses et rocailleuses.
On passe un petit pont de fortune, pour rentrer dans un nouveau sous-bois, et retrouver d’autres places de camping.
On se sent ainsi direct au fin fond des bois. Ca ne vaudra pas notre emplacement magique de la nuit dernière, mais cela fera l’affaire. Installation des tentes à la lampe torche, un vrai régal !
Le repas ce soir-là sera encore un festin. On se prend la tête à cuisiner dans la vie de tous les jours, or qu’au fond il n’y a rien de meilleur qu’une viande cuite au feu de bois. Le goût du grillé est irrésistible et se suffit à lui-même. Nullement besoin de sel, de poivre ou de sauce.
Les alcools forts sont de sortis, ça dégage bien…
Jusqu’au moment où un ranger s’arrête en voiture en contrebas de notre terrain. On se la joue aussi cool que possible, mais en fait il passait juste pour savoir si nous avions payé l’emplacement, et faire un brin de causette en même temps.
Les deux gros faisceaux lumineux de son 4×4 disparaissent dans la nuit, au milieu des sapins, pour nous laisser de nouveau seuls, éclairés par les humbles flammes de notre feu.
La guitare de Lee est de sortie pour cette dernière soirée.
Il nous chante ses propres textes, très grivois pour ce que j’en comprends.
Notre irlandais a bien du courage, car il ne restera au total que deux jours sur San Francisco, voir un ami.
Ensuite il repart sur Vancouver en avion car il a quelques concerts de prévus avec son groupe.
La soirée se termine en juke-box géant.
Nous passons nos commandes à Lee, et il s’exécute, ne prenant que quelques secondes avant chaque chanson pour retrouver l’air.
Rolling Stones, The Who, The Doors, que du bon.
Ma seule demande fut Break On Through de ces derniers, qui reste une perle subversive au refrain entêtant.
Réveil le lendemain à 7h, on se dépêche de lever le camp car l’objectif est d’arriver sur SF dans la journée.
Nous allons donc au plus direct et au plus rapide en continuant avec la route 101, qui vire plus à l’intérieur des terres. On aurait pu prendre la route 1 qui longe les côtes, bien plus sympa à descendre mais on aurait mis bien trop de temps !
Dernier jour ensemble, l’heure de s’échanger nos contacts.
Les bouts de papiers font le tour du van comme dans une salle de permanence.
Les paysages sont sensiblement les même qu’hier : petites collines à l’herbe brulée, et maisons sur pilotis par endroit. Le seul changement fondamental est la présence de grosses couches de brouillard, très épaisses.
Elles coupent véritablement la route en deux par moment.
C’est très étrange.
Un peu plus tard dans la journée, on fait une pause près d’un étang et identique, un épais brouillard tout autour de nous, qui avale tous sur son passage, comme un trou noir avec la lumière. L’atmosphère est très lunaire. La bizarrerie est renforcée par le fait que la brume est en mouvement. On la voit nettement filer, tout doucement, en silence.
Je me montre ainsi assez interloqué, ce qui n’est pas du tout le cas de mes comparses, pour qui apparemment c’est une routine tout à fait normale. Ce qu’ils me confirmeront après que je leur ai posé la question. Ce sera pour moi mon premier véritable avant-goût du climat si particulier de San Francisco, que je ne vais pas tarder à subi…découvrir.
Sur ce tronçon, la route 101 devient une quatre-voies.
Nous filons sur San Francisco plus vite que jamais, mais en contrepartie le voyage devient plus fatiguant.
En tout début d’après-midi, nous faisons un stop dans un supermarché.
Johnny c’est arrangé un peu plus tôt par téléphone (qu’on lui a prêté car il ne voyage qu’avec un bloc note) pour qu’une connaissance vienne le chercher à cet endroit. La suite pour lui, quelques semaines de hiking dans les environs.
Premier départ. Cela fout un petit blues général, même si tout le monde le cache poliment.
Johnny fut une superbe rencontre. Un hippie qui vit au jour le jour. Loin du système, proche de la nature, sans pour autant vous gaver de discours militants, bien au contraire. Une personne qui a fait un choix et qui ne fait que très peu de concessions. Un courage que l’on aimerait tous avoir.
Je serais le prochain à quitter le groupe. Etant le seul à devoir se rendre dans SF downtown, William va me déposer en banlieue devant une station Bart, qui comme son nom l’indique (Bay Area Rapid Transit) est le métro de la Baie.
Megan, ne voulant pas que je galère trop à trouver mon chemin, me note sur mon carnet les directions rue par rue que je dois prendre pour me rendre à mon hostel. Ce que je trouvais mignon sur le moment, mais qui se révèlera bien pratique finalement.
Les kilomètres passent, l’excitation commence à grimper doucement. Le temps est des plus parfait : ciel bleu sans nuage, malgré un peu de brume à quelques endroits. William et Megan rigolent sur le fait que c’est un temps magnifique pour San Francisco. Blague que je n’ai pas comprise sur le moment, mais ce n’est qu’une question de temps !
C’est alors qu’au loin, nous apercevons le monument.
La passerelle d’acier et de béton orange connue universellement.
Malgré le brouillard qui l’enveloppe quelque peu, le Golden Gate Bridge se présente à nous sur les vitres latérales du van.
Les deux étrangers, moi et Lee, sommes clairement en admiration, gaga comme des enfants, avec les yeux qui brillent.
Il est là.
Encore très loin, avec une impression qu’il est un peu perdu au milieu de l’eau et des nuages bas, mais il est bien là.
Plutôt, nous sommes bien là.
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