En rentrant à Kuah nous sommes accueillis par le propriétaire de l’auberge, Mohazar.
Ce petit homme aux cheveux grisonnants est impayable. Très volubile, passionné dans ses échanges, c’est une tornade de paroles.

Cet hostel, c’est son bébé.
Il l’a pensé, étudié dans les moindres détails. De manière scientifique, méthodique. Ce qui contraste tellement avec sa personne qui n’a pas fait d’étude. Non pas qu’il soit illettré ou inculte. Il n’a simplement pas fait bac+5 mais pour autant c’est une division R&D à lui tout seul, avec simplement un crayon, un mètre mesureur et sa grande curiosité. Et ingéniosité !

Le public qu’il vise se sont les backpackers. Son « business plan » est d’avoir les meilleurs notes sur les sites de réservations en ligne pour attirer toujours plus de clients. Il s’attache donc à comprendre leurs besoins au maximum. Et ça va très loin !

De l’agencement de l’hostel, au nombre de douche, à la qualité de la literie, rien n’est laissé au hasard. Il se renseigne énormément.

Enormément…

Par le bouche à oreille, sur internet.
Et ensuite il conceptualise et bricole ce qu’il peut.

Un exemple simple, l’ordinateur portable.
Tous les backpackers en possèdent un. Une majorité des hostels (loin d’être tous donc !) vous laisse à disposition un casier que vous pouvez sécuriser avec un cadenas. Souvent loin de votre lit.

Mohazar a donc pensé à construire un petit casier, de la taille d’une sacoche, sur le mur de votre lit, au dessus de votre oreiller. Mais il est allé encore plus loin dans sa réflexion. Il s’est en effet dit que quand un laptop est dans son casier, il n’est pas utilisé, et c’est donc le parfait moment pour le recharger. Mohazar a donc installé une prise électrique dans chaque casier. Votre portable est ainsi en toute sécurité ET en plus il se recharge. Durant la nuit ou si vous partez en journée.

Et bien ce n’est pas bête du tout !
Je n’ai vu aucune grosse chaîne d’hostel proposer un tel service.

Mohazar c’est ça. Un gars simple mais bricolo et ingénieux, avec une curiosité folle qui lui fait se renseigner sur tout en permanence. Car cet exemple du laptop, je pourrais vous en donner des dizaines du même genre.

Vu que l’étage supérieur où se trouve l’auberge est finalisé, il souhaite dorénavant s’attaquer au rez-de-chaussée, qui vient aussi d’être rénové. C’est aujourd’hui un lieu de vie mais Mohazar aimerait y installer également une cuisine.

En parlant de choses et d’autres, je lui indique que je me débrouille pas trop mal en cuisine, et rien que cela a suffit à piquer au vif sa curiosité ! Il me propose donc de réaliser un plat le lendemain soir, pour qu’il apprenne comment se prépare un plat occidental. Cela peut paraître bête mais des simples spaghettis à la bolognaise personne ne connaît et personne ne sait en faire ici. Rien que le concept de pâtes que l’on met dans de l’eau bouillante est quelque chose de lunaire pour eux.

Je ne me défausse pas et accepte le challenge.
En parallèle, Mohazar nous propose également de nous inscrire à un tour en bateau autour de Langkawi le lendemain. Il nous explique que si nous allons réserver tout seul, nous allons payer un prix touriste. Mais que si lui réserve pour nous, le prix sera le même, mais vu que c’est un local qui aura amené des clients, lui récupérera la différence entre le prix touriste et le prix normal.

C’est une pratique plus que limite car on se sent un peu comme des vaches à laits. Mais l’honnêteté de notre hôte est un bon réconfort. Il propose en plus d’utiliser l’argent qu’il va récupérer pour payer notre repas commun de demain soir. What a nice man !

A côté de cet esprit self-made man, sa passion c’est la moto.
Incollable sur le sujet, il emmène même femme et enfants dans des virées de plusieurs semaines en Malaisie et à l’étranger. Il nous montre ses photos de ses périples avec enthousiasme, comme si nous étions de la famille.

Lorsque ce brave homme hyperactif nous quitte il fait déjà nuit noire. L’heure pour nous de sortir manger un morceau en vitesse, avant de se reposer enfin un peu dans l’auberge.

Le lendemain matin, la petite troupe au complet se dirige donc vers la jetée de Kuah, là où nous sommes arrivés quelques jours plus tôt. Sauf qu’aujourd’hui nous ne prenons pas de gros bateau ! Mais une embarcation très similaire à celle que nous avons pris la veille pour visiter les mangroves.

Il est tout de même plus rapide, et c’est peut être pour cela que le chauffeur ne nous laissera pas le choix de porter ou non le si sexy gilet de sauvetage orange. Mais qu’importe, nous filons sur les eaux à une vitesse folle, et pour la première fois de ma vie je peux dire que j’ai les cheveux au vent !

Quelle agréable sensation. Mais une bien maigre consolation, car en situation normale ma coupe de cheveux ne ressemble tellement à rien ! La gêne n’est jamais loin mais j’assume ce choix et ce chemin de croix que je m’impose à moi-même en quelque sorte…

Nous nous dirigeons sur une quinzaine de kilomètres dans une direction sud-ouest sur une quinzaine de kilomètres, pour nous rendre sur l’île de Beras Basah. Pas de jetée ici, le bateau vient s’échouer directement sur la plage ! Vous débarquez donc les pieds dans l’eau. Le genre de n’importe quoi qui me donne le sourire.

Nous avons 40 minutes pour profiter de l’endroit avant de rembarquer. C’est un peu l’usine, les bateaux étant nombreux. La plage est garnie de monde, en transit également.

Il est amusant une fois de plus de constater le mix de population en Malaisie.
D’un côté les touristes locaux issus de la minorité chinoise, habillés à la cool en t shirt et short. De l’autres les musulmans, avec une écrasante majorité de femmes et d’enfants. Ces femmes arborent des vêtements amples ainsi que le voile réglementaire. Et tous ces braves gens barbotent joyeusement dans l’eau. Tout habillé.

Les plus jeunes sortent entre copines et se font des selfies malgré leurs têtes couvertes.
Symbolique du choc entre tradition et modernisme.

Dans cette ambiance loin des moeurs libérées occidentales, la copine de mon compagnon de chambre s’est sentie bien gênée. Elle qui avait sorti le bikini ! Elle rajoutera vite quelques couches de vêtements.

On nous avait vendu cet endroit comme une île paradisiaque, mais nous sommes loin du compte. Le sable n’est pas fin, sa teinte n’envoie pas du rêve non plus. La mer elle est d’une couleur triste, voir par moment polluées. Et l’ensemble fait un peu sale. Nos regards avec mes collègues se sont croisées, et on est tous tombé d’accord : tout ça pour ça ?

Nous blaguerons aussitôt de cette belle farce !
Et cela avait au moins le mérite de faire passer un peu le temps.

Une fois de longues minutes écoulées, nous nous dirigeons quelques centaines de mètres derrière la plage pour atteindre une…jetée. En effet pour repartir pas besoin de se mouiller les pieds !

Nous arpentons la longue jetée en béton qui tombe en ruine. Mais elle sera source au moins d’émerveillement. En effet, en attendant notre bateau, nous remarquons un banc impressionnant de poissons. Tournoyant autour des pieds en bétons, se mouvant en groupe comme un ballet à l’opéra, cet instant précieux suffira à justifier l’arrêt sur cette île.

Une fois l’embarquement effectué, nous naviguons plein gaz vers l’est pour s’arrêter sur l’île de Dayang Bunting Marble. L’arrivée restera pour moi inoubliable.

Nous arrivons dans une crique, saturée de bateaux et de touristes.
Une dizaine d’embarcations s’agglutinent les unes aux autres. Certains déchargent, d’autres chargent. Un peu comme une ruche, le mouvement est perpétuel.

Au milieu de la crique se trouve une une jetée bricolée en bois.
Cette dernière est aussi bondée, tel un couloir de métro.

En remontant cette jetée, j’observe cette scène à 360 degrés.
Ces arrivées. Ce trafic. Ces embouteillages. Dans ce lieu pourtant si perdu et sauvage.

Je remonte cette jetée, pieds nus, chaussures en main, et savoure ce moment de grand, mais alors grand n’importe quoi. De chaos organisé propre à l’Asie du Sud-Est. J’ai la banane, et la satisfaction de me dire que ce voyage imprévu dans ce coin du globe est une très bonne chose, tant je suis dépaysé. Tant je vis des moments what the fuck.

Une fois le pied posé sur la terre ferme, nous suivons la foule qui suit un petit chemin, et qui bien vite s’enfonce dans une végétation épaisse. Nous arrivons à l’entrée proprement dite de Dayang Bunting Marble Park, et nous avons la bonne surprise de devoir payer quelques billets pour pouvoir entrer !

Nous pénétrons ensuite dans une cuvette. Au milieu se trouve un lac prisonnier de la forêt. La dense végétation l’enferme. On pourrait se croire un peu dans le cratère d’un volcan.

La farce des suppléments cachés continue.
En effet 2 activités sont proposées. La nage et le pédalo.

Pour ce dernier c’est payant et c’est bien normal. Mais même pour la nage il faut payer ! Vous avez accès à l’eau seulement si vous louez un gilet de sauvetage. Fuck this shit I’m out !

Les locaux eux apprécient de se baigner, vivant cela pour beaucoup comme un baptême, comme d’autres en font en parachute. On sent que c’est tout nouveau pour eux. Ils ne bougent pas, ils s’agrippent simplement à leur gilet, avec la satisfaction sur leur visage, propre à ceux qui sont sortis de leur zone de confort.

Mes collègues étaient également désabusés. Après réflexion nous nous lançons dans la seule activité gratuite, l’exploration ! En effet un petit chemin longe le lac. Les berges ne sont pas aménagées, donc nous empruntons une passerelle tout du long.

Rien de bien excitant à y voir. Par contre vu que la passerelle longe des arbres, de nombreux singes y ont accès. Ils sont partout, sur le plancher mais aussi sur la rambarde.

Pour l’aller ce ne fut pas trop un problème, mais pour le retour, à un endroit précis, ils occupaient tout l’espace de la passerelle. Ces bêtes là peuvent se montrer assez agressives, il n’est donc jamais top de devoir les croiser de près dans un milieu qui plus est semi-fermé.

Mes 3 hongkongais n’en menaient pas large !
J’écris ces lignes et j’en rigole encore.

Ils se tenaient à l’écart, tétanisés, ne sachant quoi faire.
Mais il fallait bien rentrer, et pour rentrer il n’y a qu’un chemin !

J’ai la chance de ne pas avoir peur des animaux. Disons que tant que ça ne pèse pas une tonne ou que cela ait des cornes, cela ne m’impressionne pas. Je sais que je peux avoir le dessus. S’ils me cherchent des noises je n’hésiterais pas à leur botter les fesses à coups de pieds. I have the high ground.

Je passe donc le premier, sans crainte particulière, en étant juste sur mes gardes.
Rien à signaler.

Mes collègues étaient encore pétrifiés derrière.

Il leur a fallu encore une minute pour s’encourager mentalement et oser avancer, d’un pas accéléré, avec la peur au ventre, comme d’autres qui introduisent leur main dans un nid de mygale. Sursautant et criant dès qu’un macaque faisait le moindre bruit. Je ne me cachais pas pour les filmer tout en rigolant comme une baleine !

Il est (enfin) l’heure de rentrer.

Une sortie donc assez décevante, où les lieux visités n’étaient pas géniaux, et où les extras à payer en cash se cachent partout.

De retour à Kuah, Mohazar est déjà présent. A peine le temps de déposer mes affaires qu’il m’embarque sur sa grosse cylindrée pour se rendre en bordure de la ville dans un supermarché.

Sur sa grose Yamaha, monsieur se fait plaisir, et ne se gêne pas pour m’en mettre plein la vue des qu’il le peut. Malgré la vitesse, je dois bien dire que je me sentais bien plus en sécurité ici que sur le scooter ! On sent qu’il maîtrise son engin sur le bout des doigts.

Nous nous garons sur un parking banal pour entrer ensuite dans un bâtiment.
Et là le choc.

Dehors c’est la Malaisie.
Et à l’intérieur c’est l’occident.

Je me retrouve en effet dans un supermarché/hypermarché quoi de plus banal. Avec ces rayons d’ustensiles de cuisines, de jardinage, d’électroménager, d’alimentation. Dans une disposition identique à chez nous. Comme un calque.

C’est marrant comme les repères s’oublient vite.
Seulement un mois depuis mon départ d’Australie et son niveau de vie occidentale. Et pourtant à force de me prendre claques sur claques, à manger du choc culturel du matin au soir, ce pays m’a l’air tellement loin. Comme quelque chose que j’aurais rêvé. Car ce magasin me fait penser à la France, où pourtant je n’ai pas mis les pieds depuis plus d’un an. Allez chercher la logique.

Mohazar me laisse carte blanche, et en parlant avec lui je me rend compte qu’il ne possède aucun ustensile nécessaire à ma cuisine. Poêle, casserole, passoire, ce sont les outils de bases pour moi, mais c’est totalement étranger ici ! En plus de la sauce et de la viande, il faut donc aussi passer prendre ces ustensiles.

J’ai ressenti une petite sensation de gêne au fait de lui faire faire toutes ces dépenses en instruments de cuisine. Mais c’était une demande de sa part, et je soupçonnais déjà un peu qu’il n’était pas à plaindre financièrement. Ce dont j’aurais la confirmation le lendemain, lorsqu’il m’invitera à manger à…son restaurant !

Une fois les courses finies, il est temps de rentrer à l’auberge, et pour moi de commencer à cuisiner. A la malaisienne, sur un comptoir donnant directement sur le trottoir. Sur ma gauche directement sur la rue, une cuisinière concocte aussi un plat. Priceless.

J’ai eu droit à quelques regards de passants intrigués. Rien à comparer à ceux de Mohazar et mes 3 hongkongais, pour qui ma cuisine était digne d’un extraterrestre !

La pression était forte pour ne pas les décevoir. Mais au final ma plus grande peur fut qu’ils trouvèrent cela fade ! J’ai donc tenté d’épicer mon plat le plus possible, en regrettant car je changeais le goût du plat. Mais au final, je n’ai pas réussi à épicer grand chose !

Ils ont apprécié ce plat simple occidental, bien qu’un peu fade. Mais lorsque l’on mange de la cuisine asiatique depuis son enfance évidemment que nos recettes doivent manquer de piquants !

Nous passerons une bonne soirée tous les 5, où nous bombarderons Mohazar de questions. Sur la sécurité de la frontière entre la Thaïlande et la Malaisie, sur les comportements à adopter pour les touristes sur des terres musulmanes, sur son bon niveau d’anglais, sur ses trips en moto, sur sa famille, sa vie, etc…

Bref, l’essence même du voyage : entendre le point de vue d’une personne vivant à 10 000 km de chez vous.