Les jours passants, la distance entre le trio et moi va croissante. Eux ne font que critiquer Keith, moi je reste volontiers avec lui la soirée entière, devant le poste, pour apprendre de sa personne, durant qu’eux montent bien vite à l’étage après le diner. Et tout cela pour retrouver 2h plus tard dans ma chambre, mon « coloc », bien éveillé, entrain de se regarder un film emmitoufler dans son sac de couchage, casque aux oreilles.

Pour eux, ils ne doivent rien à Keith. On en branle pas une durant la journée, mais vu qu’on ne lui coute rien, « juste un peu d’électricité », ils ne ressentent aucune gêne à squatter l’endroit. Non décidément j’ai du mal à (les) comprendre.

Je me décide alors à rechercher dare-dare un nouvel hôte helpx dans le coin. Tout en postulant compulsivement à des postes de monteurs vidéos sur Sydney. Le souffle chaud de l’aventure est toujours aussi loin derrière moi, et pour l’heure, l’envie de travailler 6 mois dans la vidéo puis ensuite de bouger un peu est le projet qui me parle le plus.

Je n’ai absolument rien contre les petits boulots, au contraire. Pour ma part j’ai adoré tout ce que j’ai pu faire au Canada. Je me suis prouvé à moi même que je pouvais me cracher dans les mains et réussir à subvenir à mes besoins dans un pays étranger avec aucun contact. Du coup cela me laisse un arrière gout de redite dans la bouche à l’idée de remettre le couvert. Et je tombe sur plusieurs annonces pour le recrutement de monteurs vidéos, donc je me dis why not, tentons la chose.

En attendant, j’ai toujours dans l’idée de visiter un peu les Blue Mountains. Keith m’a parlé d’une marche qui mène à une grotte, la Red Hands Cave, où l’on peut admirer des peintures rupestres aborigènes. Le départ s’effectue à Glenbrook, au même endroit où Keith m’avait amener pour admirer mes premiers points de vues de la région. La ligne ferroviaire passant par Glenbrook, l’occasion était trop belle. Et l’envie de s’oxygéner de cette ambiance un peu anxiogène par moment n’y est pas non plus étrangère.

Le trio semblait intéressé pour me rejoindre, du moins le chef de meute, mais le jour où j’ai prévu ma marche ils devaient finalement essayer une voiture. Ma déception fut donc énorme.

Première randonnée en Australie, et c’est une randonnée de plusieurs heures, je prévois donc une bouteille d’eau et des snacks. Je préfère être prévenant m’imaginant d’emblée l’enfer. Keith se foutant à moitié de moi et de mes précautions. L’avenir me donnera raison !

En ce vendredi 30 octobre, le ciel est légèrement voilé. Le bleu est pourtant bien présent et domine l’horizon régulièrement. Quoiqu’il en soit la température tourne gentiment autour des 30 degrés. Bref, c’est frais pour un Australien.

Je me tartine de crème solaire en attendant mon train à la gare de Blaxland. Milieu de journée, pas grand monde à l’intérieur des rames. Tout le monde semble en plus un peu amorphe. Nous sommes en plein dans l’heure critique de la digestion du déjeuner.

Glenbrook est la première station qui vient après Blaxland, le trajet ne dure donc que 10 minutes. Le temps tout de même d’apprécier de nouveau le paysage entrevu lors de mon arrivée. De me retrouver à nouveau au milieu des rochers couleur Grand Canyon.

Arrivé à destination, c’est le calme encore. Encéphalogramme plat. En plus de l’horaire, il faut ajouter que la station ici n’est pas au coeur de la ville. Je tombe ainsi plus sur une zone résidentielle paisible, rurale et très éclatée. Les rues, enfin plutôt les chemins, sont déserts. Il n’y a bien qu’un maudis français sans emploi pour se trouver là.

Je tombe tout de même sur un papy entrain d’entretenir son allée. J’en profite pour lui demander le chemin du parc, et lui de me répondre d’un ton à la fois surpris et habitué. Dur de lire entre les lignes de ce visage usée par le temps.

Le soleil a fini par gagner son combat dans les cieux, et cela ne m’arrange qu’à moitié.
Sur 500 mètres, je descend un chemin qui longe une route assez sinueuse, et j’arrive enfin (de nouveau) à l’entrée du Blue Mountains National Park de Glenbrook.

Une fois passé le guichet vide des rangers, je m’arrête un peu plus loin sur la gauche vers un bâtiment en bois faisant office d’accueil aux visiteurs. Sur son mur extérieur, la carte en grand format du parc, et différentes informations sur les marches qui partent de ce point.

Je trouve la mienne, la Red Hands Cave walk, mais c’est assez confus pour trouver le point de départ précis. A côté de moi, un couple de retraité tente également de trouver son chemin. A défaut de trouver le leur, je leur demande conseil sur le mien !

Le couple, d’une fin de soixantaine chacun, se montre équipé pour la marche. Tenus sportives et décontractées, mais en même temps aux couleurs clairs et assez distinguées. Je pense avoir à faire à des anciens cadres, ce qui se confirmera en dialoguant avec l’épouse, qui possède un accent très propre. Tout le contraire du mien, mais pour elle c’est un délice de m’écouter, « your accent is so nice ». Ce n’est pas la première fois que je l’entend mais cela vient toujours de femmes (bien) mûres damn ! Véridique.

Eux aussi ont un peu de mal à interpréter la carte, mais nous arrivons mutuellement à trouver le chemin qui semble le plus logique. Avant de nous séparer, madame veut s’assurer que je sois bien équipé, je subis ainsi une checklist rapide. Il serait en effet aisé pour un touriste mal préparé que cela tourne mal. Mais pour ma première ballade dans le bush australien, je suis sorti couvert.

Je descend une longue pente goudronnée, raide et en lacets, la même où Keith se moquait des cyclistes quelques jours plus tôt, pour accéder en contrebas au départ de mon track. Je pleure déjà à l’idée de devoir remonter cette pente quelques heures plus tard…

A peine quelques mètres effectués sur le goudron, qu’une voiture me double, puis s’arrête devant moi, les occupants m’invitants à monter à bord. Je vous le donne dans le mille, il s’agit du couple de retraité rencontré quelques minutes auparavant !

Ils doivent également prendre ce chemin, et je leur inspire assez confiance pour qu’ils m’offrent un petit lift. Je m’installe alors sur la banquette arrière, littéralement façon à La Chasse Aux Trésors. J’en profite pour les questionner et en apprendre un peu plus sur eux.

Ils sont australiens, mais hasard de la vie, ils ont travaillé la majeur partie de leur vie au Canada. Sans blague ! Ils viennent en fait tout juste de rentrer au pays pour passer leur retraite, et en profite donc pour en découvrir ou redécouvrir les merveilles. Nous nous quittons pour de bon en contrebas, avec pour ma part le coeur réchauffé par cette rencontre impromptue.

Cette fois on y est. Seul, personne dans les environs, et en face de moi, au milieu du bush, un timide panneau annonçant le début du parcours. Rien ne présume réellement à la présence d’un track derrière ce panneau, mais on va se diriger par là.

En effet, on plonge directement dans une foret touffue, marchant sur des rochers, en escaladant d’autres. Le chemin est ainsi assez flou, il faut attendre une centaine de mètres pour commencer à distinguer un semblant de piste au milieu de rien.

La nature qui m’entoure est très étouffante. Hauts arbres, petits et moyens buissons, fougère imposante, parois rocheuses intimidantes. Je replonge dans mes 13 ans. Je me sens Lara Croft dans les niveaux indiens de Tomb Raider III. Je me sens Indiana Jones dans Indiana Jones et le Temple maudit.

Il est étrange de se balader dans une foret étrangère, dans une partie du monde si éloignée de la votre. Les points en communs s’entrechoquent avec les différences dans votre tête, tout en gardant très bien à l’esprit tout ce qu’il est possible d’y rencontrer. Cela a le mérite de vous maintenir attentif.

Après un petit kilomètre victorieux au milieu des rochers et de la broussaille, déjà le premier dilemme. Le semblant de sentier se divise en 2 semblants de chemin. Aucun signe, que dalle, démerdez vous !

Je me prend la tête bien 5 minutes à scruter des captures d’écrans prisent avec mon Iphone, pour me décider à prendre sur la droite, le long d’une petite rivière, dont on entend plus le murmure que l’on ne l’aperçoit.

Les prochains mètres seront emprunts d’un grand doute, jusqu’au moment où un petit écriteau libérateur longera ma route, ce dernier expliquant le passé du site.

De nombreux lézards fuient vers les hautes herbes à mon approche. Les oiseaux, toujours bruyants et exotiques, ne sont jamais bien loin non plus. Mais la forêt est à ce moment précis trop dense pour réellement les apercevoir. Aucun signe de serpents et autres araignées. Pour votre plus grande déception.

Le ciel se couvre de nouveau. Ma première pensée sera bien sur « merde, mes photos ne vont rien donner ! ». De mon côté je suis mon chemin, dans cette nature majoritairement banale mais avec quelques spécificités bien à elle. Comme ses fougère massives, mais aussi ses arbustes fleuris qui émaillent de-ci de-là la monotone verte mère nature.

Je commence gentiment à tirer la langue, autant à cause de la marche qu’à cause de cette chaleur à moitié humide. Après une heure de marche, je décide d’accélérer un peu le pas. C’est à ce moment là où je dois emprunter un long faux plat bien vicieux. Je serre les dents, prêt à en découdre, et après 10 minutes d’efforts, arrivé en hauteur, j’aperçois finalement la Red Hands Cave.

Il s’agit en fait d’un immense rocher, creux d’une face, où les Hommes ont pu laisser leurs traces à l’abri du temps. Bon, passez l’authenticité ou le bon goût, car ce rocher est encloisonné d’une cage verte. La massive grille comprend tout de même 2 petites ouvertures carrés pour pouvoir jeter un oeil aux peintures sans être trop gênés.

Malgré ces artifices extérieurs assez repoussants, je dois dire que la vue de ces peintures est très interessante. Voir tous ces dessins de mains, effectué par des hommes il y a 500-1600 ans, c’est assez touchant. Un saut dans le passé vertigineux et qui vous fait sentir bien humble.

Le chemin retour nous fait passer au dessus de la grotte. Au sol, sur sa roche sombre, de nombreux marcheurs y ont gravé leurs initiales et autres petits messages. Hé les mecs, on a pas franchi l’Everest non plus !

La boucle qui nous ramène au milieu du premier chemin est vraiment très aisée. Une piste de terre et de sable en pente douce transperce la forêt en son centre. Cette dernière et moins touffue, mais c’est pourtant là que j’ai cru entendre mon premier kangourou !

En effet durant ma marche j’entend un animal déguerpir à toute vitesse dans les broussailles proches. Vu les bruits sourds que j’entend, l’animal doit être assez imposant. Ca ne peut être qu’un kangourou pardi ! Oui mais non, mon enthousiasme débordant sera vite refroidi par Keith une fois de retour à Blaxland.

Ce dernier me posera en effet la question la plus trivial mais la plus efficace du monde : « Did you hear a jump or not ? ». Je suis resté bête. A l’écoute de cette question, je me suis rendu compte que pour moi, un kangourou qui saute, qui rebondi, cela ne se trouve que dans les dessins animés. Cet animal est ainsi tellement étranger pour mon cerveau qu’il en oubli, voir qu’il en rejette les caractéristiques intrinsèques.

Non je n’ai pas entendu de bonds, ce n’était donc pas un kangourou. Qu’à cela ne tienne, le hasard voudra que cela soit Keith qui me fisse m’approcher mes premiers kangourous quelques semaines plus tard. Mais ceci est une autre histoire.