Après avoir tant galéré pour trouver un job dans un coffee shop à Vancouver (« on ne prend que des gens avec expérience, désolé »), c’est donc à Banff que j’ai réussi à obtenir mon premier poste dans cette industrie.

Tim Hortons, il faut savoir que c’est une marque historique au Canada, arrivée dans les années 60. Les canadiens y sont très attachés, cela fait partie de leur culture. De la même manière que l’on associe MacDonald avec les Etats-Unis, Tim Hortons est associé au Canada dans l’imaginaire collectif. Mais que dans l’imaginaire collectif Nord-Américain, cette chaine n’étant pas présente en Europe elle n’a pas cette symbolique vu qu’elle est inconnue.

Premier jour de boulot, je dois pointer à 10h.
Je suis pris en charge par le team manager, qui me fait remplir une partie de la paperasse.

Il passe le relais ensuite à une sous-responsable. Vu que c’est une grosse boite, je dois signer des tas de papiers, dont d’ailleurs certains sur la confidentialité et la non divulgation d’informations sur les réseaux sociaux ou blogs. Je viole donc déjà le règlement en vous parlant en ce moment 🙂

D’autres papiers sont vraiment typiques au Canada, que l’on ne retrouvera jamais en France.
Par exemple sur un papier que j’ai dû signer il est stipulé que sur le lieu de travail, plus spécifiquement sur la ligne de production (où l’on prépare les boissons et les sandwiches en contact avec les clients), la langue parlée doit être l’anglais. Pour évidemment favoriser le travail d’équipe.

Le Canada est une société multiculturelle, et Tim Hortons, du moins celui de Banff, en est le digne représentant. Japonais, Chinois, Philippins, Aborigènes, Suédois, Allemands, Anglais, voici toutes les origines/nationalités de mes collègues. Ca serait donc un joyeux bordel si tout le monde se donnaient des ordres dans sa langue maternelle ! Sur la ligne de production c’est donc l’anglais, dans la réserve/cuisine à l’arrière du coffee shop on parle ce que l’on veut. Pour ce qui est des clients il est stipulé que l’on doit s’adapter. Dans mon cas, si j’ai en face de moi quelqu’un de plus à l’aise à utiliser le français que l’anglais je peux prendre sa commande en français. Et vu qu’il y a pleins de québécois sur Banff, au moins une fois par journée j’en croise un devant ma caisse et on parle donc français ! Ce qui parfois ne m’arrange pas vraiment mais j’y reviendrais plus tard.

Après avoir fait autant de signatures que pour un emprunt à la banque, me voici rendu à l’arrière-boutique, où seuls les salariés y ont accès. On me donne donc mon uniforme, que je dois enfiler dans la foulée. Pantalon vert kaki sombre, check. Ceinture noir, check. Chemise noir, check. Filet de protection sur les cheveux,…check. Casquette Tim Hortons, check.

Et bien après tout ça j’avais du mal à me regarder dans le miroir. Tous ces vêtements étaient lourds à porter, moralement. On (je) se sent comme un vulgaire numéro parmi tant d’autres, à la solde du capitalisme le plus grossier. Le petit salarié avalé par l’avide grand groupe. Je n’avais pas ressenti cela avec ma blouse blanche chez Earls. Car une blouse de cuisine, cela a quand même un certain prestige, on peut même ressentir une certaine fierté dans un sens. Ici c’est très différent. Mais bon, money is money, j’ai besoin de ça pour vivre et je ne ferais pas cela toute ma vie.

On se motive donc, je sort des wc qui font office de vestiaire, et après encore quelques papiers à remplir, on m’amène au front. Mon premier poste sera donc food runner. J’assiste donc la personne qui est à la caisse 1 (il y en a 2 permanentes et une en supplément si c’est vraiment le rush). Le boulot se partage ainsi : le caissier prend les commandes des clients avec son écran tactile (comme à macdo), le cas échéant il s’occupe de ramener les pâtisseries et boissons fraiches, durant que le food runner s’occupe de faire les boissons. En vrac, café, thé, latte, cappuccino, café glacé, cappuccino glacé, chocolat chaud, french vanilla, j’en passe et j’en passe.

On apprend donc sur le tas, au fur et à mesure. Au début tout vous parait une montagne bien entendu. A plus forte raison que même pour n’être que client à Tim Hortons, il faut avoir un BTS Tim Hortons pour s’en sortir. En effet ça vous parle double double, triple triple, double double with milk, regular coffee with half sugar ? Autant d’expression que vous ne retrouverez qu’à Tim Hortons. C’est un coffee shop avec son univers et son jargon propre, et pour les non-initiés comme moi (je n’y suis rentré dans un qu’une fois l’été dernier avec Rei, une amie japonaise) ça rajoute de la confusion.

Le gros du travail se concentre sur les cafés de base. On dispose d’une machine qui distribue des doses de sucre selon la taille du café (small, medium, large, xlarge), puis d’une autre qui distribue de la crème ou du lait. Un double double correspond donc à 2 sucres/2 crèmes. Un double double with milk je vous laisse deviner. Les premières commandes de ce type sont donc assez perturbantes, car les clients vous sortent cela le plus naturellement du monde, « so one double double with 2 milk, one regular with half sugar, and one triple triple with ¼ sugar ». Euuh oui d’accord…pas de problème, ça marche.

A côté de ces 2 machines que je viens d’évoquer, il y a l’outil central, la cafetière. Qui est classique, fonctionnant avec filtre et café moulu. On en dispose de 2, et de 4 plaques chauffantes. Voilà pour la revue des effectifs. Toute la durée de votre journée sera affaire d’estimation, de mathématique, et surtout de feeling !

Je m’explique.
La politique de la maison, c’est de jeter le café qui a dépassé 20 minutes. Le but du jeu c’est donc d’en faire, mais toujours en s’adaptant selon le nombre de clients qui arrivent, pour gaspiller le moins possible de café.

Seulement évidemment, il est dur de prévoir une arrivée massive de client à tel moment. Il faut donc être super réactif. Ce qui complique encore les choses c’est que l’on a aussi du café déca à faire. Il y a très peu de client qui en demande, mais il faut toujours s’arranger pour en avoir de dispo. Mais quand vous êtes en plein plein rush, ça vous embête plus qu’autre chose de devoir laisser une cafetière déca qui ne servira surement pas à la place d’une non déca, qui elle servira à coup sûr.

L’apprentissage des cafés simples se fait assez rapidement. Toutes les autres préparations par contre sont plus compliquées. Entre les différents thés, ice cappuccino, ice coffee, smoothies, mocha, etc…

Ce dernier par exemple c’est moitié café, moitié chocolat chaud, avec crème chantilly sur le dessus et quelques « traits » de chocolat liquide. Pour la crème chantilly c’est comme dans les restaurants, c’est un sac plastique que l’on doit presser avec un embout. Quand on regarde des gens faire ça on les voit comme des artistes mais en fait ce n’est qu’une vaste blague !

Ces préparations sont d’autant plus difficiles à maitriser qu’elles sont un peu moins demandées que les cafés classiques. Or chacun sait, pour apprendre il faut pratiquer. Le premier jour je faisais équipe avec un chinois, qui durant nos premiers échanges me paraissait plutôt sympa, on blague un peu. Mais au fur et à mesure que le temps passe, il devient de moins en moins cool, et de moins en moins compréhensif au sujet de ma lenteur et de mes erreurs. Il ira même jusqu’à me lancer, en blaguant qu’à moitié, que s’il était le boss il me virerait. A cet instant j’avais juste envie de lui foutre des claques mais passons !

Le deuxième jour sera meilleur, j’étais le food runner d’Ingrid, une suédoise, elle vraiment sympa. Qui me reprenait évidemment à chacune de mes boulettes, mais avec un esprit beaucoup plus constructif. C’est elle aussi qui a eu la charge de me former avec le système informatique de prise des commandes. Elle était un peu gênée de devoir former quelqu’un, car elle n’était ici que depuis un mois. Moi aussi au bout de 15 jours j’ai eu la tâche de former quelqu’un, mais c’est une autre histoire !

Le système est simple, mais il y a tellement de produits différents, de variations, de formules, qu’on se perd très vite. Le plus galère se sont vraiment les sandwiches. Il y a les breakfast sandwiches, les BLT sandwiches, les bagels simples mais que l’on peut toaster avec du beurre ou avec différentes crèmes. Les combinaisons sont énormes donc ça ne facilite pas la tâche.

Mais avant de passer en caisse, encore faut-il connaitre toutes les pâtisseries. Car comme je l’ai dit plus haut, le food runner s’occupe des préparations, le caissier lui des boissons fraiches (pepsi, etc…) et des pâtisseries.

Alors là c’est encore un grand moment de solitude. Vous avez une dizaine de donuts différents, une dizaine de Timbints (même pâte que des donuts mais ce sont des petites boules grosses comme un pouce), et une dizaine de muffins. Méthode d’apprentissage ? « sort de la zone staff, rend toi devant la devanture et apprend le nom de chaque produit, je te testerais après ».  Au début j’ai cru à une blague, car franchement ce n’est pas humain d’apprendre autant de trucs en 10 minutes ! Même si pour mon premier test je n’avais à apprendre « que » les donuts et timbints.

La première fois j’ai réussi à en apprendre 2 ou 3, et avoir des vagues souvenirs des autres. On me renvoi 10 minutes de plus, je me surprends à en mémoriser la moitié. Je sens que certains noms trouvent un écho dans mon cerveau (Boston Cream, Chocolate Dip, Honey Dip, Long John). Rien de mnémotechnique mais vous le sentez quand ça commence à faire tilt dans votre tête.

On me renvoi encore 10 minutes et cette fois ci je mémorise tout.
J’attendais alors le test avec impatience. Que j’ai survolé, comme d’autres marchent sur l’eau.

Après une petite semaine à prendre mes marques en tant que food runner, je commence à faire mes premiers pas à la caisse. L’avantage, c’est que vu qu’on est 2, je peux être à la caisse, mais s’il y a un gros rush on change de position, je repasse food runner.

Comme tout premier job, les premiers pas sont laborieux. Là encore plus qu’à l’accoutumée, car la dimension d’interactivité directe avec le client est évidemment déstabilisante. Vous connaissez à peine le nom des produits, des formules, vous savez à peine où les retrouver dans le système informatique. Et vous devez vous démerder. Vous et la machine. Devant le regard du client que vous ressentez, et qui vous semble lourd, à l’affût de la moindre seconde de trop que la commande va prendre et qui signifierait dans sa tête « ah mais il y connait rien en fait ce mec ».

Je suis bien sur épaulé par mon food runner, mais pour les premiers clients tout va trop vite, vous ne pigez rien. Comprendre ce que veut le client, puis ensuite gérer l’argent liquide, dans une monnaie qui est toujours étrangère pour vous, c’est aussi plaisant que de rouler sans phare la nuit.

Etrangement, malgré mon amour des maths légendaire, j’ai pris le pli assez vite pour gérer la monnaie. Et maintenant on peut dire que je connais la monnaie canadienne sur le bout des doigts 🙂 Avec leur foutu pièce de 10 centimes qui est plus petite que celle de 5 !

Pour la prise de commande, il n’y a pas de secret, plus vous pratiquez plus vous assimilez. Vous prenez vos marques, et c’est là que ça devient compliqué lorsque j’ai en face de moi des francophones, car le plus souvent ils traduisent tout en français. Un « breakfast sandwich saussage with english muffin and one medium coffee with 2 milk » devient « un sandwich petit matin avec saucisse sur pain anglais et un moyen café avec 2 laits ».

Tout mon environnement est en anglais, ma caisse est en anglais, alors au début je mettais quasiment plus de temps à traiter une commande en français qu’en anglais, le temps que mon cerveau traduise et que je double check la commande avec le client.

Mais sinon évidemment c’est cool de pouvoir parler français à la caisse. Durant les durs premiers jours d’apprentissage c’était même un doux moment de répit au milieu de ce stress, car même si je galérais ou si je me mélangeais les pinceaux, mes collègues ne pouvaient pas le savoir !

Le plus souvent c’est à la prise de commande, au vue de mon accent que les clients québécois basculent vite en français. Des fois ils me parlent tout de suite en français car en attendant dans la file d’attente ils ont pu entendre mon si parfait anglais. En effet si mon accent français était un sous-marin, je ne serais clairement pas en immersion à 10 000 mètres, mais plutôt en surface, avec une fanfare jouant la marseillaise sur le pont.

Travailler à Tim Hortons était donc un gros challenge, et cela m’aurait presque embêté de devoir quitter ce job les premières semaines pour un job de plongeur dans un hôtel par exemple même si ce dernier aurez plus d’avantage (staff accommodation). J’avais beaucoup plus à prouver, et à me prouver, avec ce job si dense. En challenge numéro un il y a évidemment le fait de devoir faire du customer service en anglais. En second c’est d’être capable d’emmagasiner toutes ces procédures. Car hormis l’apprentissage de la préparation des boissons et de la caisse, il y a aussi tout un tas de missions annexes (nettoyage, réapprovisionnement, etc…) toutes très codifiées. J’ai dû mémoriser un nombre de procédures assez conséquentes en un laps de temps très court. La mémoire ce n’est pas spécialement mon fort, même si je sais que j’ai une bonne mémoire visuelle. Ce n’est pas cela qui me donnera plus confiance en moi, mais du moins, avec tous ces jobs que j’enchaine depuis mon arrivée, et que j’arrive à mener à bien, ça me rassure un peu sur ma faculté d’adaptation. Bosser comme un sourd à la plonge je m’en sentais capable. Un job type Tim Hortons c’est un peu plus subtil que ça. Qui plus est en anglais.

Une semaine que j’ai commencé à écrire ce billet et entre temps je suis passé au dernier stade d’apprentissage à Tim Hortons : la préparation des sandwichs !

La progression se fait dans ce sens : food runner, cashier, puis food prep. J’avais pu le remarquer car 2 jeunes allemandes étaient arrivées juste avant moi, et au fur et à mesure des semaines je les voyais apprendre de nouveaux postes.

C’est donc reparti pour apprendre pleins de nouvelles procédures. Un type de sandwich à son type de pain, d’ingrédients, sa cuisson, etc…De plus on reçoit les commandes sur un écran, mais c’est du grec ancien le truc. Tous les termes sont abrégés à l’extrême, et il va me falloir un peu de temps pour décoder tout ça rapidement. C’est l’histoire de quelques jours !

En parlant des allemandes, profitons-en pour conclure sur mes collègues.
Assez froid au premier abord, mais ça se réchauffe très vite ! Je m’entends avec tout le monde, excepté avec le chinois que j’ai eu comme binôme mon premier jour. Sa mauvaise foi dégoulinante lorsqu’il est à la caisse me sort par les oreilles. Il n’est pas raciste de dire que les chinois dans le commerce ont l’habitude d’en rajouter des tonnes avec leur client. Toute personne ayant été dans un restaurant chinois ne pourra qu’acquiescer. Mais ça reste raisonnable. Là lui franchement c’est du brossage dans le sens du poil, avec huiles essentielles et crème apaisante. Et un peu de vaseline si jamais ça passe mal.

Je suis bien conscient que c’est super subjectif, mais avec ce mec je ne peux pas. C’est à l’opposé du style d’une de mes responsables, qui elle aussi use beaucoup de sourires et de formules de politesses, mais cela ne sonnent pas faux. On voit, on ressent qu’elle aime le contact.

Elle a une fin de trentaine, vient des philippines, et est vraiment adorable. On déconne pas mal ensemble, elle est toujours à l’écoute, jamais stressé même si c’est le rush. Elle prend soin de son équipe d’une manière très maternelle. C’est agréable de bosser avec elle.

La deuxième responsable vient aussi des philippines (comme la moitié des employés ici), mais c’est un autre style, moins chaleureux. Cela se limite à boulot boulot, du moins avec moi.

Voilà pour un petit tour très succinct du petit monde de Tim Hortons. J’aurais encore pleins de choses à dire, comme à chaque fois, mais j’y passerais 3 semaines !

Comme par expliquer le titre de cet article, the wave.
C’est un surnom que m’a donné un des pâtissiers. Lorsque c’est le gros rush, on doit courir partout, car on a besoin par exemple pour traiter une commande de se rendre à l’opposé de sa caisse pour trouver la machine/produit nécessaire. Il faut donc marcher vite, tout en évitant de rentrer en contact avec ses collègues, qui font de même.

Et moi mon style c’est assez à la Matrix, j’ondule les bras, je me courbe un peu, je déplace le bassin, etc…D’où…The Wave ! Plus tard j’ai appris que le surnom de mon chinois favori est killer smile. Ca ne s’invente pas 🙂