Samedi 6 juillet 2013.
Seattle, début de matinée.

Je m’enfile un petit déjeuner vite fait, et quitte mon hostel.
Le rendez-vous avec William, la personne qui descend sur San Francisco, est fixé à 11h30, devant le dépôt Greyhound.

Je déambule dans Seattle avec mes deux sacs sur moi, pour arriver un peu en avance devant la station.

J’attends.
J’attends encore…

Les passagers vont et viennent autour de l’entrée de la petite gare routière, ainsi que les gens louchent habituels. J’aurais même droit de me faire accoster par une grand-mère (noire) catholique, avec son petit prospectus pour me parler des méfaits de…la pornographie.

Une heure passe, toujours aucune trace d’un van.
Et n’ayant pas de forfait mobile aux Etats-Unis, impossible de se contacter en direct.
J’ai bien mon EeePC, mais évidemment pas de wifi gratuit dans les environs.

Je laisse passer 20 minutes, toujours rien.
Direction un Starbucks en vitesse, où je peux avoir accès à mes emails.

Mon chauffeur m’avertit qu’il sera pas mal en retard, étant parti beaucoup plus tard que prévu.
Bon, au moins il ne m’a pas oublié.

Une quinzaine de minutes plus tard, mon char est enfin là.
Un vieux van Volkswagen gris fait son apparition.
Pas le modèle scooby doo que tout le monde a en tête, mais le modèle Vanagon (ou Caravelle en Europe).

Ce qui reste bien old school !

William, long t-shirt de couleur uni et short en jean, sort du van, s’excuse platement de son retard, et m’aide à charger mes affaires. La trentaine, un bon mètre quatre-vingt et très large d’épaule. Ajoutez à cela des lunettes de soleil qu’il porte quasiment tout le temps, ainsi qu’une barbe épaisse qui descend jusqu’au niveau de sa poitrine, et vous obtenez un personnage assez impressionnant.

La portière de la place passager s’ouvre, et je découvre une tout autre personne. Grand également, mais très fin. Marcel sur le corps, de couleur kaki comme son mini short. Johnny se dresse devant moi et me salue avec un grand sourire.

Voix douce, cheveux roux mi longs avec couettes, locomotion sans chaussure.
Oui, c’est bien cela, j’ai un hippy en face de moi !

Je fais coulisser la porte transversale, et découvre un autre individu.
Lui a encore plus de poils que son maître. Mais vu qu’il a quatre pattes et que c’est un chien, c’est tout excusé.

Petite chienne adorable genre Bouledogue américain.
Elle fera le trajet avec nous, et elle répond au doux nom de…One Two.
Bon ça reste toujours mieux que pot de fleur.

On reprend la route, direction la gare ferroviaire, pour prendre un autre passager. Moi, au fond du van, sur l’usée banquette arrière, je commence à réaliser la folie que ce voyage va être, dans ce petit espace exigu.

Mes pieds reposent sur un matelas. Mon compagnon à ma gauche est une glacière. Et autour de moi je retrouve les affaires des uns et des autres, qui ont trouvé un semblant de place. Et One Two qui cherchera la sienne tout au long du trajet.

On arrive à la gare, et on passe prendre Lee et sa guitare.
Un irlandais qui a échoué à Vancouver. Chanteur et guitariste, deux positions parfaites pour secouer ses dreadlokcs, qui commencent à avoir une pointe de poivre et sel.

Son arrivée m’a permis de pouvoir commencer à papoter un peu. Car ayant une voix qui porte peu, il m’est vraiment difficile de communiquer avec le conducteur et son premier passager lorsque je suis au fond du van.

Le petit Volkswagen descend doucement vers le sud, sous un soleil d’été.

Après quelques heures, nous arrivons dans la lointaine banlieue de Portland, où nous devons récupérer Megan, le dernier passager.

Etudiante américaine originaire de Davis en Californie, sa bonne humeur communicative n’a d’égale que l’éclat roux de ses longs cheveux. Un style assez bohème, mais au final très limité comparé à ses hôtes.

Elle logeait ainsi chez un jeune couple, dont le mari est espagnol.
Vêtements sortis tout droit de chez Emmaüs, et nourriture bio pour tout le monde !

Adorables bien sûr, mais je n’avais pas encore eu l’occasion de rencontrer des gens aussi « deep » par le passé.
On arrivait en début de soirée, et ils ont eu la gentillesse de nous offrir à manger.

Petite collation donc sur la pelouse au pied de la maison, où l’on a eu droit à une petite prière collective avant de manger.
Chacun devait se tenir la main, durant que le maître de maison faisait un très rapide speech.

Quelques phrases pour remercier mère nature. Et pour finir, je ne me souviens plus si l’on a dû dire un mot ou faire un signe. Qu’importe. Il nous a remercié ensuite d’avoir joué le jeu.

Je me moque gentiment, mais après c’est comme tout, comme pour les religieux, je les envie presque de réussir à croire en quelque chose, de le célébrer et de l’assumer. Ils ont surement leur esprit plus en paix que moi.

Nous reprenons ensuite la route tous les cinq.
Avec le soleil qui commence doucement à décliner, se pose vite la question du couché.

Megan connait un camping assez proche et où on peut y trouver des sources d’eaux chaudes naturelles.
Il s’agit des Bagby Hot Springs.

On est tous donc assez motivé pour s’y rendre !

La première journée de route se sera ainsi révélée pas très longue, car l’on va se retrouver à passer la nuit à proximité de Portland.

La route justement commence à être vraiment intéressante.
Fini les grandes voies, bonjour les petits chemins au beau milieu des paysages forestiers de l’Oregon, avec des cours d’eaux un peu partout.

Ne connaissant pas le prix du camping aux Bagby Hot Springs, on ne se ferme pas la possibilité du camping sauvage si on voit un spot intéressant. C’est ainsi que l’on s’arrête sur le bas-côté, près d’un petit chemin qui mène à une clairière.

Cette dernière donne sur un précipice, où coule à environ cinq mètres en contrebas une rivière moyennement agitée. On aperçoit vite un fire pit au milieu de la clairière, ce qui permet d’envisager d’y passer la nuit.

Cependant ce qui nous intéresse le plus, du moins Johnny, William et moi (mon dieu ça fait très Club des 5), c’est un imposant tronc d’arbre, totalement à plat et qui relie les deux rives, distantes d’une dizaine de mètres.

En fait c’est plutôt moi et Will qui suivons Johnny, qui est parti seul loin devant communier avec la nature, et en traversant la rive presque comme si de rien n’était.

On reste tous les deux à la base du tronc, et Will m’avoue clairement qu’il n’y a pas moyen qu’il puisse faire cela. Vu son gabarit de rugbyman je peux comprendre que son manque de souplesse le met moyennement en confiance.

Pour moi c’est un poil différent. Le tronc est certes assez large (je peux y placer quatre de mes pieds), mais en même temps cela reste vraiment juste pour se sentir en totale confiance.

A trente centimètres du sol on en rigole, à cinq mètres au-dessus de l’eau c’est autre chose.
Mais il est déjà trop tard, ma décision est prise.

Je me lance.
Pas doucement, mais plutôt tranquillement.

Tête en bas durant toute la traversée, à fixer le tronc, à anticiper ce sur quoi j’allais marcher, tout en évitant au maximum de regarder la rivière en contrebas, qui m’étourdis trop si je la fixe.

Et c’est complètement stupide, mais comme on se sent vivant sur le moment.

Je n’étais pas à 100 mètres de haut, mais néanmoins ce n’est pas anodin de jouer les funambules sur un tronc au-dessus d’une rivière, sans filet, sans artifice. Juste vous et votre peur. Vous et votre corps qui s’emballe.

Le pou qui augmente.
Votre vision qui s’hyper focalise.

Votre hyper anticipation permanente, où vous suivez vraiment votre feeling, votre instinct.
Où vous essayez de ressentir, de ressortir le maximum d’informations à chacun de vos pas.

Bref, ce n’était ni inconscient, ni raisonnable.
Juste un moment très agréable à repousser ses limites.

On garde ce spot en tête au cas où, et on reprend la route pour les Bagby Hot Springs.
L’adresse du site est pas super évidente, et on met pas mal de temps à trouver le bon chemin.
Résultat, une fois sur place, la nuit commence tout doucement à tomber.

Impossible de se rendre aux sources d’eaux chaudes, car il faut suivre un chemin durant 15 minutes dans la forêt pour y parvenir. Du coup payer le camping nous embête un peu. On reprend vite la route pour se trouver un spot, en décidant de revenir aux sources le lendemain matin.

La nuit est maintenant tombée.
Quelques kilomètres plus loin, un petit dégagement en gravier est présent sur le bord de la route.
Ca vaut le coup d’essayer !

On s’y arrête, et c’est parti pour une exploration nocturne dans les bois, armés de lampes électriques. Un petit chemin descend dans la forêt, on s’y faufile malgré la végétation et un fort relief.

Moment assez surréaliste, mais je pense que je n’avais même pas besoin de le préciser.

Quelques mètres en contrebas, nous trouvons un fire pit au milieu des arbres.
Vendu, on peut y passer la nuit !

On installe ainsi rapidement nos deux tentes.
William souhaite dormir dans sa voiture, et me prête donc la sienne.

Megan en possède une de deux places, et dormira avec Lee.
Johnny dormira lui à la belle étoile.

Le temps de les monter, ce dernier aura eu le temps de chercher du bois et de nous faire un feu de tous les diables. Sa connaissance du bois, des techniques pour faire un feu ou plus généralement de la nature dans son ensemble est vraiment très grande. Il est très à l’aise dans cet univers. Son univers.

Nous voici donc tous réuni autour du petit foyer qui crépite, et qui captive si vite les regards, en même temps que sa chaleur nous réconforte. Le temps parfait pour apprendre à se connaitre, le temps du partage également.

William nous fait découvrir une petite liqueur artisanale qu’il fabrique lui-même. Je ne me souviens plus à base de quel fruit, mais le résultat était vraiment doux et très bon. Une bouteille, puis une deuxième feront le tour. Des passements de verres où les mains se frôlent, comme autant de liens qui se construisent entre nous.

Les trois américains et les deux européens que nous sommes s’entendent agréablement bien, au beau milieu d’un coin isolé de l’Oregon. Chacun s’écoute et partage. Dans cette scène si unique, où les visages sont dorés, et où les cimes noires des arbres qui nous entourent pointent tous dans la même direction. Vers ce ciel bleu sombre, percé d’étoiles. Il n’y a pas meilleure thérapie.

Le temps passe, les yeux commencent à piquer.
Il est temps de se mettre au lit. Pour ce qui sera ma première nuit dans une tente.

J’avais vite adopté l’idée du camping (sauvage) car encore une fois, on ressent une grande liberté de pouvoir dormir où l’on veut, s’en rien demander à personne et sans rien…PAYER !
L’argent reste toujours le nerf de la guerre.

Mon enthousiasme sera vite refroidi par mon manque de préparation, qui entrainera une nuit des plus désagréables !