Après cette première sortie riche en découvertes, je me décide à rebrousser chemin.
Je retraverse tout Bush street pour atteindre mon auberge et avoir accès à ma chambre. C’est un ancien hôtel lui aussi, mais à comparer au premier, celui-là n’a pas du tout été repensé pour sa nouvelle fonction d’hostel.

Les chambres sont vraiment très petites pour six personnes.
Pas de cuisine, pas de salle de laundry, juste une machine coincée dans un placard. Seulement un pc de disponible pour tous les clients. Les (seuls) bons côtés du passé hôtelier de ce bâtiment ? Une télévision dans chaque chambre mais surtout des douches très spacieuses et individuelles. Pas le genre de douches en pièce commune présentes normalement dans une auberge !

Je ressors en fin de journée, en me dirigeant de nouveau sur Market street, mais avec l’idée cette fois de la descendre, en prenant la direction sud-ouest donc. La carte postale commence déjà à en prendre un coup.

Plus on descend, plus l’ambiance devient glauque.
Je ne me trouve qu’à quelques centaines de mètres du centre névralgique et touristique de la ville, et pourtant je me sens dorénavant comme dans un ghetto.

J’entre dans le territoire des homeless si je peux m’exprimer ainsi.
Tous les bâtiments sont vieux, crasseux et délabrés pour la plupart. La rue est jonchée de strip club malsains, de petites épiceries/tabac dignes de ceux que l’on peut trouver dans l’universel « quartier de la gare ». Les sdf y font le planton, jouent aux échecs ou simplement font masse sur le trottoir, comme une grande famille.

Quelques très vieux et imposants bâtiments surplombent les autres.
Tous abandonnés, ils témoignent du passé et de l’âge d’or de la ville. Mais l’environnement sur place est quand même bien creepy.

C’est dans ce genre d’endroit où je remercie mon chromosome Y, et également mon petit pelage sur le visage pour ne pas renvoyer une image trop juvénile. Sans cela et mes habits de routards qui font que je me fonds un peu dans la masse, je déambulerais dans cette rue de façon moins tranquille.

Il est là le problème principal de San Francisco, c’est que pas mal de coins sont quand même bien craignos. Principalement la partie du downtown que je viens de décrire et Mission District. Les locaux que j’ai pu rencontrer durant les semaines suivantes vous déconseillent de toute façon de trainer dans le downtown, repère des sans-abris, et encore moins de nuit. Leur nombre peut vraiment choquer, aussi bien les touristes de passage que les nouveaux arrivants. J’ai pu lire quelques retours de ces derniers qui, pour quelques-uns, ont eu bien du mal à passer outre. Dur effectivement de constater de façon si flagrante une société à deux vitesses.

Depuis mon passage à Seattle, je sais que c’est le fait de toutes les villes aux U.S d’avoir une population totalement en marge, mais le phénomène me parait encore plus préoccupant à S.F. Chose d’autant moins compréhensible que l’ultra riche Silicon Valley est toute proche.

Le lendemain, mon rhume étant quasiment parti, je me décide de postuler à l’auberge où j’avais pris contact quelques semaines plus tôt. Ils ont de la place pour prendre quelqu’un, mais la personne doit rester au minimum deux mois. La bonne blague !

Mon plan A échouant lamentablement, j’improvise un plan B.
Je me cale dans un Starbucks, relève toutes les adresses d’hostels du coin, et tente ma chance massivement sur Couchsurfing. J’irais faire du porte à porte le lendemain.

En rentrant dans ma chambre, je tombe sur Rhami, un afro américain super accueillant.
La trentaine, il enchaine les petites missions d’intérims, et l’auberge est devenue sa maison. Il me note les bonnes adresses sur un papier, comme où il est possible de prendre un petit déjeuner pour pas trop cher. On discute pas mal, et il m’indique que pas mal de jeunes étrangers de passage comme moi travail au black pour financer leur séjour. Dernièrement il avait rencontré un italien qui avait trouvé du boulot…dans un restaurant italien.

Cela ne m’enchante guère de prendre un tel risque, je ne tenterais donc même pas.
Malgré que ma situation ne s’arrangeait pas vraiment.

En effet le jour suivant je fais le tour des hostels, mais aucun n’est enclin à me prendre.
Difficile d’aller profiter de la ville lorsque votre seule préoccupation est de trouver une solution pour se loger de manière pérenne.

Je rebombarde de demandes Couchsurfing, en ratissant de plus en plus large.
Le lendemain j’obtiens enfin une réponse positive. En relisant le profil du gars, cela ne me donne guère envie de m’y rendre (loin du downtown, très petit studio, le mec à 50 ans). Mais claquer au minimum $30 par nuit n’était pas du tout envisageable pour du moyen terme, j’accepte donc son invitation.

Il habite à l’extrême ouest de San Francisco, sur Judah street, à quelques mètres de la plage qui donne sur l’Océan Pacifique. Je repère sur internet une ligne de tramway qui justement traverse toute la ville d’est en ouest et qui passe pile sur Judah street. La bien nommée…

Arrivé sur Market street, je me stationne devant un arrêt de tramway.
Mais au bout d’une dizaine de minutes je comprends bien vite qu’il ne désert pas ma ligne. Sur Market street, seuls les heritage streetcars passent. Un chauffeur m’indique le chemin à suivre. Il faut en fait se rendre…sous terre, dans une bouche de métro.

Je découvre ainsi le système tentaculaire du réseau de transport de San Francisco.
Qui est très dense et très multimodale.
Il se divise en trois parties.

Au niveau de la chaussée : bus et heritage streetcars.
Au premier niveau d’une bouche souterraine : tramways modernes.
Au second niveau : métros Bart.

La subtilité vient du fait que lorsque l’on quitte le centre-ville, les tramways remontent en surface. Et prennent alors une allure d’escargot au milieu des rues. Un peu surprenant au départ, mais l’idée est vraiment pas bête. Les connexions entre les réseaux s’en trouvent bien plus aisées, et le temps de trajet réduit.

Mon tramway sort du tunnel, et je chasse chaque nom de rue que je peux apercevoir, histoire de savoir si le chemin que je prends est le bon. Je découvre en même temps une nouvelle facette de San Francisco, le quartier de Sunset District. Royaume des jeunes diplômés et des cadres. Restaurants, cafés, magasins bio, etc… C’est très vivant et bien rénové. Les couleurs des bâtiments sont souvent unies et vives. C’est un peu une ambiance lounge géante.

J’arrive enfin à mon stop, avant dernier arrêt avant le terminus de la ligne.
En effet, quelques dizaines de mètres plus loin, en face d’une butte de sable, les rails forment un arc de cercle qui les fait repartir en sens inverse. Je me trouve ainsi à proximité de la côte, et cela se ressent énormément sur mon environnement. L’ambiance, le parfum, la lumière font très plage.

Les appartements sont tous petits ici, un peu anciens, mais virent tous au jaune, rouge ou bleu pétant. Très peu de commerce. Le café le plus proche est totalement looké en mode Hawaï/surf. Les gens que je croise sont détendus. On se sent un peu comme en vacance ici, une vraie douceur de vivre.

Mon hôte navigue entre Miami et San Francisco, et son appart ici est vraiment très petit.
Cuisine, salle de bain, salon.
Rien de plus, rien de moins.

Dès le départ l’ambiance est super glauque.
Il m’avait prévenu qu’il était gay.
Pas qu’il était lubrique.

Il me parle de façon bien trop mielleuse, mais le pire reste son regard très malsain.
On sent le gay âgé qui salive devant un p’tit jeune.

Je ne crains ni pour ma vie, ni pour mon cul, mais je suis super mal à l’aise bien que je lui masque.
On discute gentiment, mais franchement son attitude me révulse. Il me propose de mettre un dvd. Je me dis ouf, je vais pouvoir souffler durant deux heures !

Oui mais non… Vu que je suis français il croit me faire plaisir en mettant le film Les Misérables.
Mais il s’agit de la dernière version, sortie en 2012. Qui est en fait plus une comédie musicale, où ça chante du début à la fin. Et là j’hallucine. Parmi tous les films possible il faut qu’il me sorte le plus « gay as fuck » possible. Je me trouve au milieu d’un complot ce n’est pas possible autrement.

Le salut viendra de l’arrivée d’un autre couchsurfer.
Elle vient de Taiwan, toute toute jeune, en vacance quelques semaines aux U.S. Prude et avec un physique loin d’être avantageux. Pour situer, si elle ferait partie de la troupe musicale dans American Pie 1 cela ne choquerait personne.

Super jeune, super fragile, parlant un anglais plus qu’approximatif, ça ne va pas être l’éclate.
Déjà qu’en temps normal le second degré ce n’est pas ce qui définit le mieux les asiatiques… Son arrivée aura eu au moins des effets positifs. Un, je ne pourrais plus me retrouver seul avec mon hôte. De deux, sa présence valide mes théories, car il lui parle de façon totalement différente qu’avec moi. Froid, désabusé, on sent que son intérêt ne se porte pas du tout sur elle.

On prend un peu l’air dehors, et il nous montre les environs.
Il ne faut qu’une minute pour accéder à la plage. Pas l’idéal pour se baigner, car ici c’est souvent brumeux ou venté, mais parfait pour se balader sur cette immense îlot de sable.

Le n’importe quoi va refaire surface à l’heure du couché.
L’autre couchsurfer dormira sur un matelas entre la cuisine et la salle. Moi il m’avait annoncé qu’on dormira ensemble dans la salle. Je m’attendais à dormir sur un canapé ou un grand lit. C’est là qu’il sort d’un placard un matelas ridicule d’une personne. Mais vraiment d’une personne !

Le cirque peut commencer.
Phase un, pour ne pas être collé à lui, je m’arrange pour mettre un tiers de mon corps hors du lit, sur le côté. Lui de me dire que non, je pouvais rentrer entièrement dans le lit. Ah ah, tu en as des bonnes. Phase deux, micro réveil dans la nuit, et une vision d’horreur m’envahit lorsque je sens un de ses bras autour de ma taille. WTF ! Je change de position de façon assez énergique, ce qui a pour effet qu’il retire son bras.

J’aurais voulu foutre le camp le lendemain mais la question financière était la plus forte.
Je vais résister encore deux jours.

Le premier, on le passera ensemble, où on a pu découvrir des choses sympas.
Sur la pointe nord-ouest, au niveau de South Bay, on a longé la côte rocheuse qui fourmille de choses à voir.

On peut y apercevoir un bout du Golden Gate Bridge.
Plus loin sur la mer, un grand rocher sert d’habitat à une dizaine de phoques.

Un peu plus bas, les récifs se font très nombreux, et j’apprends qu’une bonne partie d’entre eux sont en fait le reste d’épaves de la flotte marine américaine.

Autre fantôme du passé, les Sutro Baths, encore un peu plus bas, au bord de la mer.
Ancien complexe nautique hors norme datant de la fin du XIXe siècle, aujourd’hui entièrement réduit en ruine.

Complexe hors norme, car il s’insère dans les années folles du tout début des années 1900.
Ambiance Titanic, où le luxe d’antan se greffe au progrès technologique naissant. Les Sutro Baths, c’est un peu cela. Des piscines immenses sous une gigantesque verrière, à deux pas de la mer. Il fut le plus grand centre aquatique à son ouverture, et les photos d’époques que l’on peut admirer dans un musée près du site sont assez impressionnantes.

Plus tard, nous prenons le bus pour s’approcher du Golden Gate Bridge.
Beaucoup de brouillard à cet endroit, il est difficile de le distinguer entièrement. Le nombre de touristes sur place est assez insane ! Un mini musé est présent au pied du pont. A pied la traversé est bien sûr gratuite. Je ne me ferais donc pas prier !

A mesure qu’on le traverse, l’émerveillement s’intensifie.
Ces câbles et ces murs d’acier « orange pétrole » vous font courber la tête. On vit un peu un rêve éveillé. Si l’on prête bien attention, on peut même apercevoir avec un peu de chance des dauphins au niveau de la mer.

A noter qu’à l’époque de sa construction, l’armée souhaitait que le pont soit jaune avec des rayures noires !
Fort heureusement cela n’a pas abouti.

Arrivé sur l’autre rive, je quitte les nuages pour un ciel bleu et un grand soleil.
Définitivement, il faut y vivre pour comprendre…

En début de soirée, on se fait prendre en voiture par un collègue de mon hôte.
Ils avaient prévu de se rendre dans un restaurant italien, donc bon, boom, why not.

Ca aura eu le mérite de me faire découvrir San Francisco en voiture.
Le restaurant se trouvant sur North Beach, au nord-est, et sainte vierge, il vaut mieux ne pas appréhender les démarrages en côte ! Les rues sont pareilles à des remontés de ski, et je ne peux m’empêcher de visualiser toutes les cascades de films qui ont dû avoir lieu dans le coin.

Son pote est plus que gay friendly également, mais son regard est bienveillant et non pervers.
Ce qui n’empêche pas que la soirée fut un peu longue pour moi. Point de vue social, on a eu du mal à trouver des sujets de conversations. Point de vue bouf, déception également. Je pensais me faire plaisir en commandant une bonne pizza bien bourrative, sauf que le restaurant fait de la cuisine raffinée, et j’aurais donc droit à une pizza avec des ingrédients très recherchés et des proportions très légères. Bref, ça manquait de gras et de calories…

La nuit se passera cette fois sans encombre.
Il faut dire que j’ai insisté pour dormir en sens inverse.

Le matin suivant, le 14 juillet, je ressens le besoin urgent de m’oxygéner.
Je pars donc tôt de l’appartement pour prendre un tramway direction le downtown, loin de ce plan foireux dans lequel je me trouve.

Beaucoup de marche au programme, et le soir petite revue des festivités de ma fête nationale qui se déroulent dans le quartier français !