Je suis donc mon hôte Keith jusque dans sa tanière, qui ne se trouve qu’à tout juste une minute en contrebas. Keith. Oui, encore. Je vais finir par croire que c’est l’équivalent de Kevin Down Under.

Le terrain est toujours très accidenté. Son adresse se situe au milieu d’un lotissement de petits pavillons imbriqués les uns aux autres, avec des carrés de jardins pour chacun d’entre eux. Ce n’est pas très enchanteur, mais heureusement quelques arbres entourent la zone d’habitation, ce qui rend l’atmosphère un peu moins anxiogène. A plus forte raison que ce sont des arbres du coin, donc les couleurs sont chatoyantes.

Ayant eu pas mal d’helpers français par le passé, Keith ne se prive pas de me balancer tous les mots et expressions de la langue de Molière qu’il a retenu au fil des années, le temps de notre trajet. De façon plus général, je ressens une envie de sa part de paraitre le plus cool possible, et donc d’en faire un peu des tonnes. Comme s’il voulait rassurer tout de suite ses jeunes guests qu’il était toujours dans le coup malgré son cuir qui a usé déjà pas mal de décennies. Par effet de miroir, un moyen de se rassurer lui même évidemment.

L’entrée se fera par le garage et sa grande porte coulissante. Un tas de bricoles amassées dans un chaos assez magistrale, puis on débouche sur un tout petit bout de jardin. Un rectangle vert coincé entre le garage et la maison. Juste de quoi y mettre une table et quelques chaises, ce qui reste bien agréable lorsque le soleil se pointe.

L’intérieur de la maison est assez sombre. Cuisine suivie du salon au rez de chaussé, les chambres se situants à l’étage supérieur, dont l’accès s’effectue par le biais d’un escalier à la moquette beige usée.

Je m’empresse de me délester de mes poids morts dans ma chambre, qui me plait déjà. Une simple chambre, avec une simple petite armoire, une simple fenêtre et un lit d’une personne douillet et propre. Malgré mon sentiment d’aversion vis à vis de retourner à faire du HelpX, en ce moment précis, à peine franchis le seuil de ma chambre, je ressens tout de suite un certain soulagement. Ni ce soir, ni demain, ni après demain je n’aurais à lâcher 30$ pour dormir.

De retour au rez de chaussé, Keith continu son show, et balance par le biais de sa tablette tout un tas de chansons françaises. C’est une tradition, chaque helper partage ses musiques avec lui. Et certains se sont fait bien plaisir…

Du Renaud, du Gainsbourg, du Saez, Matmatah et autres Stromae. J’ai ainsi pas mal halluciné en écoutant les premières notes d’Initials BB sortir des enceintes, mais ce ne fut rien en comparaison de l’arrivée des premiers riffs de guitares de Black Bomb A. C’est…mais…vraiment…sérieux ?

A 20 000 km de la France, dans une baraque perdu à l’ouest de Sydney, comment puis-je tomber sur une chanson de Black Bomb A, un groupe de metal français bien hardcore et bien underground, qui est inconnu du grand public, et même inconnu d’une bonne partie de l’auditeur metalleux moyen. Cela ne répond à aucune forme de logique !

Ce groupe a en plus pour moi une signification particulière. Cela me replonge en effet en pleins dans mon adolescence, à l’époque où, ayant pris goût au metal, je recherchais toujours quelque chose de plus violent, quelque chose de plus extreme. Et avec Black Bomb A, ma quête prie fin. Des guitares lourdes, aucune intro, directement des chants gutturaux à peine le titre commencé. Voilà, c’est ca, impossible d’allez plus loin que cela !

Pour paraitre encore un peu plus fou aux yeux de tous, cela reste pour moi écoutable et jouissif. On est loin du metal mélancolique et romantique de Deftones, là c’est juste pour headbanger et se vider la tête. Parfait en fin de journée pour éliminer sa tension.

En parallèle, Keith me montre, une fois de plus tout fière de lui, les vidéos qu’il a prit durant son séjour à la neige lorsqu’il dévale les pentes. Le monsieur vient en effet tout juste de rentrer de plusieurs mois de ski dans l’Etat tout proche du Victoria.

Et oui mesdames messieurs, il neige en Australie, et on peut y faire du ski !

Bien entendu les pistes n’ont rien à voir avec ce qu’on peut trouver dans les Alpes, mais pour du ski casual c’est toujours sympa. Il faut se rendre dans les Alpines, au nord est du Victoria, pour tomber sur un massif montagneux, surnommé ici très modestement Australian Alps.

La courte saison se déroule entre juin et septembre. Keith, après quelques semaines de rabes, vient donc tout juste de rentrer.

Devant mon étonnement, ce dernier enfonce encore un peu plus le clou en affirmant que la première remonté mécanique est australienne. Pour lui pas de ski mais du snowboard. Et c’est très intriguant pour moi de tomber sur des photos jaunies très early 80’s de ses premières glisses. En Australie. A l’époque de Giscard on skiait déjà en Down Under. Cela en est presque de l’uchronie pour moi.

Pour économiser au maximum durant la saison d’hiver, Keith dors dans son van aménagé et ne dépense donc pas d’argent dans un hôtel. C’est ici que j’interviens ! Vu que l’après midi n’est pas encore terminée, je vais m’employer à donner un petit coup de propre dans l’habitacle du van.

Quelques tapis secoués et des vitres lavées plus tard, mon travail pour la journée est fini. Ne me trouvant pas dans une ferme, et Keith n’ayant pas de besoin particulier, mes taches journalières se limiterons souvent qu’en quelques taches domestiques.

Le soir venu, direction le coeur de la maison, à savoir la cuisine le salon, et surtout son canapé et sa télévision. C’est ici que Keith passe le plus gros de ses journées. Etre cassé s’il en est, mais j’aurais le temps d’y revenir.

Entre deux émissions de télévisons, la pièce s’emplie de fumer. De cigarettes, mais pas que. If you know what I mean. Le silence est souvent de mise entre nous 2. Non pas qu’il y ait un mur, mais difficile d’amener des sujets de conversation lorsqu’une tv s’occupe de combler le vide toute seule.

Le lendemain matin, un beau dimanche de fin d’octobre. Un mercure à 25 degrés. Mon dieu qu’il fait frais ! L’ours Keith est réveillé, et me donne un petit cours sur l’utilisation de sa machine à café à piston. Le café moulu ayant pour originalité de se trouver dans le congélateur. Ce dernier tenant compagnie à une enveloppe A4 à la couverture orange moisie, contenant le testament de mon hôte. Ca ne s’invente pas. Une précaution vis à vis des flammes, mais qui me parait un brin dérisoire.

Direction ensuite le van que j’ai lavé la veille, pour un petit saut dans le Blue Mountain National Park. Nous prenons ainsi la route pour la localité toute proche de Glenbrook, en empruntant la voie rapide A32. La lumière y est encore un peu basse, le blanc restant dominant. Le ciel n’a encore qu’un pied sur deux dans ses charentaises.

La route n’est ni montagneuse, ni forestière. On se sent plus en lointaine banlieue qu’aux abords d’un parc national. Très vite, nous atteignons Glenbrook, et par un chemin de traverse, nous accédons à une des entrés du parc. Keith dispose d’un pass, donc pas d’argent à donner au Ranger.

Maintenant la route devient un chemin, et bien vite vous trouverez plus de terre que de bitume. Au coeur de la foret, la voie grimpe comme jamais, à la limite de la prendre en 1ère vitesse. Apres plusieurs minutes de montagnes russes dans le bush, où je délègue tout à Keith car pour ma part je suis désorienté depuis fort longtemps, nous faisons un stop au Mount Portal Lookout. Au milieu d’une dense végétation, un amas de gros rochers tapis le sol, et vient s’échouer jusqu’au bord du vide, offrant un panorama dégagé. La Nepean River s’étend de tout son long, tel un lasso, jusqu’à se perdre dans l’horizon.

En face de moi s’étend donc, plein nord, les plaines du Cumberland. Le ciel restant encore légèrement bas, il est compliqué de distinguer Penrith qui se trouve à 6,5km, et impossible d’apercevoir les grandes tours de Sydney, distantes de 54km.

Nous reprenons la route ensuite, sur des chemins toujours aussi accidentés et piégeurs. Après avoir croisé quelques voitures hésitantes à s’engager sur les pentes poussiéreuses, Keith ne peux s’empêcher de faire des remarques assez caustiques à leur sujet. Lui ne se posant jamais de question, le pied au plancher reste pour lui la seule attitude à adopter.

Une fois le van garé, il nous faut suivre un sentier sur 200 mètres pour atteindre le nouveau point de vue. Durant ce court laps de temps, mon hôte partage avec moi un peu de son savoir, m’indiquant quelle plante est bonne à utiliser pour telle occasion, que ce soit au niveau du bien être qu’en cas de blessure.

La nature, le bush, c’est vraiment son domaine. Il n’a plus la santé pour vivre à l’état sauvage, mais il en a toutes les connaissances. Ce personnage, poids lourd d’un bon mètre 90 et de plus de 100kg avec un ventre proéminent, est un vrai aussie guy à l’ancienne. Une antiquité. Une relique du siècle passé.

Pour le port d’arme, contre la féminisation à outrance. Une de ses répliques favorites insinuant que les hommes modernes se sont transformés en femmes d’hier. Nous sommes sur la même Terre mais pas du même monde. Durant son enfance, lui me raconte qu’il attrapait je ne sais plus quel espèce de bug, du type cafard, pour les mettre ensuite dans des petites boites en cartons et les vendre le lendemain à la cour de recrée, car ces bestioles étaient assez populaires. Bon voilà, le bonhomme a eu une enfance au milieu du bush assez loin de nos standards. Ce qui en fait une mine de savoirs et d’informations sur le sujet.

Je lui fait remarquer que le bush ici me surprend assez. Je pensais à tord que sorti de Sydney, pour caricaturer un peu, c’était un plongeon dans des zones désertiques, ou du moins arides. Alors qu’en fait tout est très vert ici, des arbres à la broussaille. Les grandes chaleurs n’ont pas encore commencées, mais pour autant la zone ne va pas devenir un désert durant l’été.

La zone, justement, j’en ai une vision bien plus claire maintenant, grâce au lookout que nous venons de trouver. Sur un bout de cailloux dégagé, j’ai une vue d’ensemble du Blue Mountains National Park. Enfin une partie du parc. Ici, il se résume à de vastes plaines où la foret est dense, et donne une impression d’infini. Tout au loin, au niveau de l’horizon, quelques hauts rochers montagneux s’élèvent au dessus de cette flore, tels les gardiens d’un temple.

Déjà, d’ici, grâce à cette vue entièrement dégagée sur l’horizon, il est possible de distinguer ce bleu caractéristique, ce bleu qui donne son nom au parc. Cette couleur se reflète sur les montagnes au loin, mais également émerge de la foret elle même, à un peu plus de la moitié de votre chant de vision. Cette couleur provient des essences volatiles des forêts d’eucalyptus.

Certains rochers proches du vide sont comme explosés, et il est ainsi possible d’y apercevoir leurs entrailles, constitués d’une roche jaune ocre typiquement australienne, contrastant avec le gris beaucoup plus commun extérieur.

Sur le chemin du retour qui mène à la voiture, je découvre ce qui sera mon enfer ici en Australie. Ni serpent, ni araignée, ni crocodile. Non. Les mouches…

J’avais déjà eu un aperçu durant mon attente à Perth, elles sont moins présentes à Sydney, mais là, éloigné de la ville, c’est festival. Je les trouve un poil plus petites que les nôtres européennes, mais par contre elles sont 100 fois plus chiantes. Dans notre beau pays, en campagne, elles s’occupent en général plus de votre nourriture que de vous, et dans le cas contraire elles se limitent à voler autour de vous. Par petits nombres.

Mais ici, que nenni, welcome to hell !
La seule idée qu’elles ont en tête c’est de se poser sur votre visage. La seule, l’unique.

Du coup elles reviennent sans arrêts, et vu qu’elles viennent le plus souvent par bande, ça devient invivable. On a dépassé le terme agacent, invivable et bien le bon. Donnez moi des redback, donnez moi des serpents, mais par pitié, reprenez moi ces petites merdes !

Sans transition, nous reprenons la route pour Blaxland. Il faut déjà sortir du parc, et cette fois il nous faut remonter des voies, par moments en forme de long lacés, parfait pour un Tour de France. Justement, nous croisons quelques cyclistes sur la route. Et Keith, vitre baissée, ne peut s’empêcher de leur lancer sa punch line favorite (je ne les compte plus), et qui résume au final assez bien le personnage : « Hey mate, being healthy is the slowest way to die ! ».