Mes 2 jours off s’étant écoulés, toujours sans plan, je me résous à contacter Keith pour un possible retour sur Blaxland, le temps de rebondir ailleurs. La porte m’est grande ouverte, je choisirais donc cette option.

L’heure des adieux avec Donna et Martin, et de les remercier pour leur hospitalité. Même chose envers Laurence, que j’espère recroiser quelque part en Australie, elle commençant tout juste son périple également.

Que retenir de cette semaine sur Woodford ?
La découverte d’un lieu très reposant, un véritable havre de paix au milieu du bush.

Des travaux pas inintéressants, n’ayant que rarement dû travailler du bois par le passé.
La rencontre avec ces satanés sangsues. Une deuxième ayant réussi à s’agripper au niveau de mon bas ventre. A cause d’une séance photo dans le bush pour Donna, où je me suis pas mal de fois retrouvé à ras du sol pour la bonne cause.

Des randonnées à pleurer, et bien sur un échange culturel avec mes hôtes, et la découverte de leurs parcours des plus atypiques, en particulier évidemment celui de Donna. Rien à regretter donc.

Je reprend ainsi le train en direction de Blaxland, fier et conquérant.
Qu’il est agréable de retourner en territoire connu.
Aucun stress à l’horizon !

La ville n’a pas changé, mon Keith non plus.

Content de se retrouver, nous échangeons sur ce qu’il s’est passé pour chacun d’entre nous ces derniers jours. Cuisine puis émissions de télévisions toujours aussi déglinguées, je reprend vite mes marques.

Tout serait donc presque au beau fixe lorsque je me réveille le matin suivant.
Sauf que nous sommes le 14 novembre 2015.

Apres m’être servi un café, je m’installe négligemment dans le canapé, Keith occupe déjà la position, chaine d’information à l’antenne.

C’est là qu’il m’apprend les événements parisien. Enfin, le peu que l’on en sache à ce moment précis. Je vois à l’écran les images de ma capitale, de nuit, bouclée par les forces de l’ordre, comme dans un film policier. Je lis les bandeaux qui défilent, tous aussi incroyables les uns que les autres : des morts, des attaques aux 4 coins de Paris et Francois Hollande qui déclare l’Etat d’urgence. J’ai beau me rendre compte que ce n’est pas une blague, j’ai un mal fou à réaliser que ce qui se passe sous mes yeux est réel.

Mon café fini, ni une ni deux, j’embarque mon macbook et file à la bibliothèque pour un usage des plus intensifs d’internet.

Une dizaine d’onglets d’ouverts, histoire de suivre l’horreur au plus près. Il est tout juste 1h du matin en France, la situation est donc encore très chaude et confuse. Après avoir pu prendre contact avec mes proches vivant sur Paris, je suis comme un spectateur. En particulier sur Facebook, où un par un, mes amis parisiens se signalent en sécurité. Un peu surpris par ce système lancé par Mark Zuckerberg, qui fait un peu opportuniste, je dois pour autant avouer que cela est rassurant. Même en ce qui concerne les amis lointains.

Après une heure à me bombarder d’informations, la situation semble se normaliser doucement. Sauf le nombre de victimes. Je me sens tellement à l’extérieur de tout ça, mais en même temps je ne peux qu’être que très touché. Je culpabiliserais presque d’être si loin.

De plus, il se rajoute une étrange sensation d’être inutile.

Je le serais de la même manière en France, mais là, avec la distance, cette inutilité ressentie se multiplie à chaque kilomètre qui me sépare de mon pays. Le cas échéant, cela fait beaucoup de zéro.

What now ?
Le moins que je puisse faire serait de me rendre à un rassemblement ou une marche, ce que je ne doute pas que l’un ou l’autre aura lieu. A Blaxland, surement pas, mais à Sydney, qu’y n’est qu’à une heure en train, les choses s’organisent, les groupes Facebook français s’affolent.

Bien vite un rassemblement est prévu à 19h, le jour même, à Martin Place.
Même si la perspective de me rendre au milieu de tout ça me parait irréel, plus habitué à voir ce genre de choses dans les JT que d’y participer, c’est la seule chose que je puisse faire pour témoigner de ma compassion, ainsi que de mon implication malgré la distance et les fuseaux horaires.

La fraternité est pour autant assez limitée, car je ne trouve aucun français sur facebook pour répondre à ma demande express de logement pour quelques jours sur Sydney… Heureusement, les Aussies ne sont pas tous des cunts. Un Keith pouvant en cacher un autre, celui de Guildford, où j’avais passé mes premiers jours en Australie en couchsurfing, comprend très bien la situation et m’ouvre à nouveau sa porte.

J’informe dans le même temps Laurence de mon projet, et qu’il serait possible de faire route ensemble. Elle acquiesce aussitôt, et on se donne rendez vous dans l’après midi à Penrith.

Cela me laisse un peu de temps pour faire des courses.
La pluie frappe Blaxland, comme un bel orage d’été qui vient ruiner une journée ensoleillée.

Keith me propose donc d’emprunter sa veste en cuir tout droit sortie du bush.
Me voici ainsi affublé comme un cowboy, et je dois bien avouer que cela est parfait pour déambuler sous la pluie. D’une étanchéité à toute épreuve.

Tellement fier de son coup que mon hôte souhaite me prendre en photo.
Je ne saurais jamais si il n’y avait pas également une volonté de sa part de me changer un peu les idées.

Plus tard je quitterais sa maison en lui lançant un ironique « sorry Keith, my people needs me ! ».
Je retrouve ainsi Laurence dans le mall de Penrith. Une expérience assez particulière, après s’être fait des quasi adieux 2 jours plus tôt. Donna nous fera part de sa compassion par sms.

De retour à Sydney, à Central Station, nous ne perdons pas de temps et prenons le premier train qui traverse les entrailles de la ville en direction de Martin Place.

En sortant de la station, petit choc de se retrouver dans une mégalopole, après toutes ces semaines passées dans la quiétude des Blue Mountains.

Au niveau de la grande place, un attroupement est déjà visible.
Le temps gris et maussade n’a pas freiné le mouvement.
Bougies et fleurs sont déjà en place.

Tout de suite, le silence, les regards perdues et les visages fermés vous marque.
Certains pleurs dans les bras des autres. L’émotion est palpable.

Elle est de plus largement renforcée par la présence d’une église proche. A chaque tonnage des cloches, d’une lourdeur inimaginable, les frissons vous gagne, et le sentiment de recueillement plus présent que jamais.

Les minutes passent, nous commençons à être une centaine attroupés autour de la place. Une immense majorité de jeunes français. Quelques habitants traversent la rue en se demandant bien pour quel motif tous ces gens sont réunis.

Nous attendons tous, sans vraiment savoir pourquoi au final. Chacun demandant aux autres si quelque chose est prévu, si quelque chose est censé se passer. Nous improvisons donc une Marseillaise. Ce n’est qu’après une heure d’attente que le Consul de France à Sydney arrive, avec quelques assistants.

Ce dernier s’installe au milieu de la foule, devant les bougies, et commence à prendre la parole.
Mais personne n’a eu la bonne idée de ramener un micro et de la sono, ou du moins, vu que j’admet que cela c’est fait dans la précipitation, ne serait-ce qu’un mégaphone. Au lieu de cela rien. Du coup à part la première rangée de personnes encerclant le Consul, nous n’avons pu rien entendre.

Les journalistes et les caméras sont maintenant présents, histoire de faire quelques images.
Pour clôturer le rassemblement, le Consul lancera lui aussi une Marseillaise.

La nuit est à 2 doigts de nous engloutir dans son néant.
Il est temps de bouger.

La rumeur court que l’opéra sera illuminé du drapeau tricolore ce soir.
Nous nous dirigeons donc ainsi, Laurence et moi, vers le monument clé de Sydney.

Au pied de l’opéra, un concert à ciel ouvert a lieu ce jour là.
Une colonne d’une dizaine de français, tous bariolés de bleu, blanc et rouge, enchainent les boucles autour de la place de l’Opéra, en chantant haut et fort l’hymne national. A chaque fois que ces derniers s’approchent du concert, le public de ce dernier entame une valse d’applaudissements.

Le léger crachin continu qui nous a accompagné toute la journée se transforme en véritable pluie, nous nous installons ainsi à l’écart de l’Opéra, pour nous abriter à la seule place couverte.

Le ciel est maintenant noir, et une longue (longue ?!) attente commence.

30 minutes de flottement, puis enfin quelque chose s’active. Des traits noirs de coordonnés s’alignent sur l’opéra pour former un quadrillage. Mais tout cela, un par un, à une vitesse d’escargot. L’opération a bien dû prendre 40 minutes, si ce n’est une heure.

Laurence ayant aussi un bagage de graphiste, nous nous étonnons de ce système de réglage des plus archaïque. Le monument ne bouge pas d’endroit, alors pourquoi devoir refaire tous les réglages chaque soir ? Si cela est nécessaire car les projecteurs doivent être réinstallés, là encore le monument ne bouge pas de place, donc un système de repères pourrait aisément être mis en place pour une rapidité d’exécution accrue. Mais bon tout cela reflète surement d’une déformation professionnelle…

Durant l’attente, je fais la connaissance avec un australien, la quarantaine, qui attend lui aussi à mes côtés. Ce petit personnage, sous ses airs de tranquille petit citoyen, m’intriguera au fur et à mesure de notre conversation. Des plus banales et sans histoire, mais je ne sais pas, quelque chose ne collait pas.

C’est alors qu’il me demandera s’il pourrait me prendre en photo. Et après coup, appelez moi parano ou trop grand amateur d’oeuvres d’espionnages, je me suis vraiment questionné sur le fait de savoir si ce bonhomme sans histoire n’était pas un agent en couverture pour assurer la sécurité.

En milieu de soirée, l’Opéra se pare du drapeau tricolore.
Une foule éclatée et disparate, mais bien présente, assiste à l’événement.
Une preuve de plus que je ne rêve pas, que les événements parisiens ont bien eu lieu, mais toujours aussi dur de réaliser.

Nous nous quittons avec Laurence, cette fois théoriquement pour de bon !
Je m’engouffre dans la station Circular Quay, pour prendre la direction de Guildford.

A l’extérieur, le flot de touristes le long des quais est toujours aussi présent. Le va-et-vient des ferrys également.
La vie n’attend pas.

Une heure plus tard, je retrouve mon couple australien favori.
Katy, assez fatiguée, ne trainera pas trop. Keith à l’opposé, passera le reste de la soirée avec moi.

Il est toujours aussi facile de dialoguer avec lui, et c’est un plaisir d’échanger avec lui. Le tout, en dégustant des bières locales, dont ses premières qu’il vient tout juste de confectionner. Keith s’étant lancé dans une petite production maison. Chose assez courante en Australie pour un particulier.

Avant d’aller se coucher, à ma demande il plug sa tour pc sur le grand écran de télévision du salon. Je pourrais ainsi, en streaming, me gaver d’infos et d’images via les chaines d’informations en continue françaises, jusqu’au bout de la nuit.

Bien que fatigué, avec les yeux rouge, je ressent le besoin de me gaver de la sorte.
Même si les débats tournent assez en rond et se montre ainsi assez stériles.

Tard dans la nuit, lorsque mon corps me lâche, je sors sur la terrasse pour m’en griller une avant d’aller au lit. Après une telle journée, la philosophie est facile au milieu de la nuit épaisse. Malgré le drame, je sais au moins dorénavant que je connais des gens sur qui compter. Et dans des moments pareils, il est bon de se sentir quelque part dans un lieu où vous vous sentez un peu comme à la maison.

Je lance sur mon Iphone la lecture du titre Paris In Flames de Thursday.

L’album est de 2001, et ce titre apocalyptique n’avait pour seule vocation de n’être qu’une chimère cathartique.
Aujourd’hui, la chimère est devenue réalitée, et la catharsis, plus que nécessaire.