En rentrant en fin d’après-midi de Palm Beach, l’esprit empli d’une envie retrouvée, je trouve la motivation de partir faire mon premier footing depuis mon arrivée en Australie. Je pratique depuis plusieurs mois, il était donc grand temps de s’y remettre. Mais pour cela, il faut se sentir un minimum bien dans ses baskets pour réussir à s’imposer un tel exercice.

Je profite qu’une averse s’estompe au profit d’une pluie fine pour m’élancer, entre l’excitation de pouvoir à nouveau courir et la crainte d’une performance plus que moyenne.

Et effectivement, avec tous mes récents excès de nicotine, j’étais bien loin de mes capacités et des 50 minutes de course que j’arrivais à atteindre lors de mes dernières semaines en France. Dans cette fin de journée humide mais toujours un peu lourde, je déambule dans le quartier, où les rues rectilignes remplies de pavillons paraissent sans fin.

C’est une nouvelle source de motivation pour moi, que de courir à l’étranger. Cela permet de découvrir différemment, à une autre échelle. Une échelle beaucoup plus de proximité, à comparer au bus ou au train. Côté sportif, j’aurai à forcer comme un beau diable pour atteindre péniblement les… 30 minutes. Les dix dernières en surrégime total.

Des sorties comme celles-là ne sont pas plaisantes, mais c’était attendu. Cela n’entachera pour autant en rien mon humeur, boostée par cette journée.

Le lendemain, l’optimisme est toujours là, et l’envie de filmer tout ce qui sort de mon univers de Français également. Direction, au hasard des pages de mon guide, Kings Cross. Un quartier au nord-est de Sydney, au passé historique riche et trouble.

KingCross

Très élitiste à ses débuts avec de très belles demeures, l’endroit se transformera au début du XXe siècle avec la construction d’immeubles au loyer modéré. La population bohème de la ville s’emparera de ces rues nouvelles et très vite, le tout-Sydney (journalistes, écrivains, artistes) suivra le mouvement. Tout comme un début de criminalité avec la vente d’alcool non taxée.

Mais à partir de la guerre du Vietnam et de l’importation de l’héroïne, le quartier fut investi par les gros réseaux de trafiquants et devint très malfamé pendant plusieurs décennies. Aujourd’hui, la vie de bohème a un peu repris, même si l’aspect assez glauque du quartier est encore bien présent sur les murs.

Les façades sont décrépies et certaines petites rues font davantage penser à des coupe-gorges. Les bars et commerces miteux sont également légion. Beaucoup d’hostels dans les environs où il faudrait me payer cher pour que j’y mette les pieds. Les habitants de Sydney (tout comme les backpackers) venant ici pour se saouler le plus possible, je ne vous explique même pas l’état des chambres ou même une nuit dans un dortoir.

En sortant de la station Kings Cross, impossible de manquer l’immense enseigne Coca-Cola, à l’angle de Victoria Street et Darlinghurst Road. C’est un peu triste que cela soit devenu un emblème du quartier car c’est, avouons-le, très laid.

Coca_Cola_King_Cross

Je descends ensuite Darlinghurst Road, une grosse artère de la ville qui mène sur le quartier de… Darlinghurst. La route est longue et large et permet d’admirer une belle perspective sur les quelques gratte-ciel du centre de Sydney. Quelques constructions sur le chemin valent le coup d’œil, résumant bien le style de la ville, un mélange de colonial et de victorien, avec donc des couleurs toujours très vives et des symétries bien présentes.

La grande route n’ayant plus rien à m’offrir, je fais demi-tour puis, au hasard d’une intersection, une rue retient mon attention et je coupe sur la gauche pour l’atteindre. La rue est en pente douce et les premières habitations, de très belles villas, sont disposées au sommet d’une butte, les 50 mètres de flanc de colline bétonnés, donnant l’impression de forteresses modernes impénétrables.

Un peu plus en contrebas, un terrain vague fait office de frontière. En effet, en face de moi, étonnant contraste entre un mur portant un graffiti vif détonnant, symbole d’un art urbain moderne, et une plante massive qui expose ses fleurs aux pétales d’un rouge tout aussi vif que la peinture que je vois en arrière-plan. Un mélange d’agression et de douceur. La vie, en somme.

FleursKingCross

Frontière ainsi, car après ce terrain vague, fini les villas de luxe coincées près du ciel, place maintenant à des maisons au style colonial toutes plus belles et plus éclatantes les unes que les autres. C’est un peu comme être transporté au XIXe siècle. Avec ce soleil âpre de fin de journée qui tombe pile sur ces habitations, le contraste des couleurs n’en est que plus fort. Je me sentirais presque en Afrique, au temps des comptoirs, ceux que Céline narre dans son Voyage au bout de la nuit.

J’aime ces découvertes totalement inattendues, fruits d’une simple inspiration. Un peu plus bas sur ma droite se trouve une rue sans issue. Au fond de cette dernière, le long du mur, un immense arbre est présent, aux feuilles épaisses et vertes, que l’on ne peut trouver qu’à cette latitude. C’est original pour mes petits yeux de Français.

ArbreKingCross

La station de train se trouvant plus au nord, je coupe ma route pour prendre un escalier et reprendre la bonne direction. Il me faut encore remonter une rue et pour cela, je tombe sur un autre escalier, qui me rend à la fois content et désabusé. Les Butler Stairs me font face, intimidantes de manière intrinsèque, et encore plus lorsque le mercure est élevé comme aujourd’hui.

Content car j’adore par-dessus tout ces petites découvertes non répertoriées sur les guides comme précisé plus haut. Cet escalier de 1870, avec son arche verte décrépite et ses pierres délavées, transpire l’Histoire. Il ferait presque haussmannien et en fermant un œil, je pourrais presque me croire à Montmartre.

ButlerStairs

Bref…

ice-cube-it-was-a-good-day

Mais avant de rentrer, je passe faire quelques courses, ayant promis à mes hôtes de leur faire goûter un plat français. Direction donc Town Hall, avec son supermarché Woolworths accolé à la station de train.

C’est toujours une expérience de faire ses courses à l’étranger. Tout est si proche et si différent à la fois. C’est également très intéressant de croiser la clientèle. En plus, je tombe pile à la fin des heures de bureau, je peux donc admirer la working class locale déambuler dans les rayons.

Le fromage est bien évidemment hors de prix. La crème fraîche étant difficile à trouver, je me tourne donc vers de la sour cream, ayant décidé de faire des escalopes à la crème.

C’est fou comme le simple fait de faire ses courses vous fait sentir comme un local. Vous n’êtes plus un voyageur/touriste qui va se nourrir dans les restaurants, non, vous devenez quelqu’un du cru, qui fait son choix dans les rayons et va faire sa petite popote en rentrant chez soi. Une agréable sensation d’appartenance.

Dans la chaleur étouffante des souterrains de la station, j’arrive sans trop de difficulté à trouver mon train. Transpirant rien qu’en marchant, je me demande comment les autres arrivent à rester frais. Certains arborant même des chemises à manches longues. Hérésie ! À noter que les hommes ayant un dress code strict (chemise, cravate, pantalon) sont exonérés du port de la veste. Merci pour eux et pour l’odorat de tout le monde.

Connaissant le palais de Katy, je ne peux m’empêcher de rajouter pas mal de ses sauces et de ses herbes dans ma cuisine, de peur qu’elle ne trouve mon plat trop fade. Du coup, on était loin du goût d’une escalope à la crème classique, mais au moins la cliente que je craignais le plus a très apprécié la cuisine.

Une journée complète donc, où mon corps montre enfin des signes d’adaptation à l’heure locale. Eh oui ! C’est le premier post où je ne me plains pas de ma narcolepsie chronique durant le trajet retour vers Guildford.

Rien de moins que 4 jours pour ne pas avoir les yeux qui piquent en plein après-midi.

L’heure pour moi de passer à autre chose. Je dois en effet partir après-demain, avec encore absolument rien de planifié, cela va de soi. Je passerai donc la journée du 13 octobre essentiellement sur internet pour caler la suite de mon voyage.

Well, sort of…

L’Australie est si vaste qu’il est difficile de faire un itinéraire précis. Il faut faire des choix constants, et peser le pour et le contre pour chaque stop. Ajoutez à cela le climat qui est à prendre en compte, et bonjour la migraine.

Je souhaitais après mon arrivée vite remonter sur Cairns pour profiter de la barrière de corail avant que la saison des pluies ne commence. Mais le trajet est long et les informations, dont celles de Keith, sont assez contradictoires sur la date du début de cette maudite saison. Il se pourrait donc que je me tape une mission vers le grand nord pour ne pas pouvoir en profiter.

Mais alors que faire ?
Rester sur Sydney, rechercher un emploi ?
Partir, mais où, et pour quel budget encore ? Il n’est pas question de dilapider mon argent.

Bref, prendre des décisions n’est jamais mon fort, mais là les équations deviennent trop complexes pour moi. Je vais donc plutôt essayer de rester sur Sydney encore un peu, en espérant y voir un peu plus clair.

Mais là encore, où, quand, comment et pourquoi ?
Mais où est donc Ornicar ?

Il est très compliqué de trouver des hôtes sur Couchsurfing pour une ville aussi grande et aussi demandée que Sydney. Mes quelques tentatives font toutes chou blanc, mais j’arrive tout de même à recevoir un « peut-être » de la part d’un Suisse.

Il me demande de l’appeler, une fois cela fait, il me précise qu’il parle français.
Son débit de parole est tout de suite moins rapide mais il dit vrai.

La conversation va cependant vite tourner court lorsqu’il me demande quel travail j’avais en France car il a une pièce qu’il aimerait bien repeindre. Un travail en échange du gîte. Sauf que tu t’es juste un peu trompé de site, mec ! C’est du couchsurfing libre, pas du HelpX. Sentant l’embrouille ou la magouille, je refuse poliment l’invitation.

Voulant éviter par dessus tout les hostels de Sydney, remplis à grande majorité de fêtards, et à la propreté limite (les commentaires des clients font peur), je me tourne vers Airbnb. Mais là encore, je fais choux blanc. Ma date d’arrivée étant le lendemain, cela limite pas mal mes choix, déjà qu’avec ma fourchette de prix j’écrème pas mal.

Bon eh bien, il ne me reste plus que l’hostel.
Pitié. Non. Je ne suis pas d’humeur à supporter tout ce raffut. Et je me sens déjà limite mal à l’aise de me retrouver entouré de jeunes de 20 ans.

Je me la joue donc papy, option carte vermeil.
Pour limiter au maximum le risque de me retrouver au milieu d’une anarchie généralisée, je vais mettre les 10 $ supplémentaires par nuitée qui séparent les auberges cheap des auberges avec un début de standing.

Mon choix se tournera donc vers Sydney Central YHA.

YhaSydneyCentral

Le lendemain midi, je peste devant mes sacs, incapable de recompacter toutes mes affaires.
Damn, je me suis pourtant limité à prendre l’essentiel, malgré ça mes 2 backpacks sont utilisés à 110 %.

Le temps presse, cela m’agace, et en campeur du dimanche que je suis, je n’arrive même pas à installer mon sleeping bag dans les sangles supérieures de mon backpack. Le semblant de zénitude aperçu il y a deux jours me semble bien loin et même plutôt enterré six pieds sous terre. Mes doutes me transpercent plus que jamais.

En ce début d’après-midi, direction donc Central. Qui est un peu la plaque tournante de tous les backpackers du coin. On en croise dans tous les couloirs, par grappes, et étrangement cela rassure, et rend le portage des sacs un peu moins dur.

Je m’engage sur Eddy Avenue, rue coincée entre la gare et Belmore Park.
Un grand carrefour plus tard et me voici sur Rawson Place, adresse de l’hostel.

C’est un YHA, et comme souvent ils ne font pas les choses à moitié. Ils ont entièrement réhabilité un bâtiment classé. Très sobre et new-yorkais, difficile de ne pas apprécier.

Le check-in fait, je prends l’un des 3 ascenseurs disponibles pour monter au 3ème étage.
Tout a l’air clean et silencieux comme espéré. Soulagement. Idem pour la chambre.

Dans le dortoir de 6 personnes, je salue 2 Anglo-Saxons au fond de la pièce, en pleine session de smartphone. Ils me répondent poliment, visiblement assez blasés, je comprends vite qu’ils ne souhaitent pas plus interagir que cela. Parfait, je ne suis pas d’humeur Manu Chao non plus, cela tombe bien.

La chambre étant ensoleillée, le simple fait de faire mon lit me causera une petite suée.
La nuit s’annonce sympa !

Nouvelle petite suée lorsque je consulte mes e-mails au creux de mon lit et que j’apprends de la part de mon assurance que mon contrat n’est pas encore actif, attendant un document de ma part.

Finalement grosse suée.
Donc s’il m’arrive le moindre truc les jours qui viennent, je ne suis pas couvert.
Génial.

Suee

Ayant rejoint le club très sélect des personnes souffrant d’un mauvais fonctionnement thyroïdien, j’ai l’immense privilège de devoir suivre un traitement à vie, une petite pilule tous les matins. Non non, je vous rassure, cela n’atteint en rien ma masculinité.

Pour ce type de maladie chronique, les assurances ne vous couvrent pas. Elles vous protègent de tout, sauf des problèmes de santé survenus avant le début du voyage. J’avais fait faire un devis pour m’assurer, que cela ne change rien à la protection, hormis le fait que j’aurai à payer pour mon traitement.

Le contrat étant le même, ayant juste à prendre en charge ma thyroïde, je ne donne pas suite au devis, et avant de partir en Australie, je souscris à un nouveau contrat – sans déclarer ma maladie, car je sais très bien qu’ils ne me rembourseront pas mon traitement donc l’un dans l’autre, si on peut s’éviter un peu de paperasse inutile… Sauf qu’une semaine plus tard, je reçois donc cet e-mail car ils ont recoupé mon contrat avec mon devis. Et il faut donc savoir qu’une fois que l’assurance sait que vous souffrez d’une maladie chronique, elle vous impose de remplir un papier où vous stipulez bien que cette maladie ne sera pas prise en charge par l’assureur.

Well, well.
Fuck.
Comme le dirait si bien Mark Watney.

Cela a le mérite de me sortir de ma torpeur et je fonce ainsi au front desk avec une chemise contenant tous mes papiers sous le bras. Je ne dispose que d’un iPhone mais avec l’aide précieuse des gens au front desk, de leur boîte e-mail et surtout leur photocopieuse, il me sera suffisant pour réussir à télécharger, imprimer, remplir, scanner et enfin envoyer l’e-mail à l’assureur.

Ma mission faite, le cœur léger, mes incessants doutes et questionnements peuvent revenir me hanter en paix.