Le lendemain matin, dimanche 15 novembre.
Le soleil est revenu, bien qu’un peu voilé.

Je m’épuise la rétine dès le réveil en consultant les dernières news sur mon smartphone.
Dans la cuisine, c’est le branle-bas de combat.

Mes hôtes organisent en effet un bbq pour le déjeuner. La particularité de ce bbq est qu’il sera asiatique, Katy est donc en première ligne dans la préparation, bientôt rejoint par une de ses amies.

L’excitation de pouvoir découvrir une nouvelle cuisine est contrebalancée par le fait de devoir me  trouver ensuite au milieu des amis et de la famille du couple. Moi qui ne suit personne. Moi qui suit même en dessous de personne, car je ne suis même pas une pièce rapportée !

Mais bon, l’anxiété est la même que celle que l’on ressent avant de plonger dans une eau fraiche. Une fois les premiers moments désagréables passés, on se laisse aller. Le lubrifiant social international, l’alcool, aidant également.

Nous sympathisons donc tous ensemble, sur le petit balcon.
Mon accent exotique a au moins l’avantage d’amener assez vite la conversation.

L’autre exotisme, il se trouve du côté de la cuisine. Un bbq australien se résume à des saucisses et des oignons que l’ont sert avec du paint de mie. L’éclate donc…

Ici rien de tout ça, nous avons droit à des viandes et des légumes marinés avec des sauces asiatiques, tous les mets étant plus succulents les uns que les autres. Même les plus fiers aussies autour de la table s’inclineront, et dénigreront leur bbq traditionnel.

Nous avons testé à tout, même aux plats les plus excentriques de Katy pour nous autres pauvres occidentaux. La prime revenant ainsi à…des pattes de poules !

Grillées au bbq bien sur, mais l’aspect reste identique à ce que je pouvais voir dans la ferme de ma grand mère. En voyant cette patte dans mon assiette, je visualisais ses poules, marcher partout dans sa propriété, et surtout dans la fiante.

J’ai donc un mal fou à me motiver pour tester la chose.
Mais après plusieurs minutes, j’approche ces griffes et ces écailles jaune de ma bouche.

Et au final…rien d’effrayant. Il n’y a pas beaucoup à manger sur chaque patte, mais surtout le goût n’est pas désagréable. S’il y a un goût…Encore une chose de plus à rayer de ma liste. Même si pour le coup je n’avais aucune idée que c’était sur ma liste…

Après cette petite parenthèse à Sydney, je me dois de retourner sur Blaxland.

Toujours dans un brouillard assez épais au sujet de la suite de mon séjour, je reçois enfin des réponses aux jobs de monteur vidéo auxquels j’avais postulé il y a plusieurs semaines.

Toutes négatives.
Bien que pour certaines je ne suis pas passé loin, comme pour un poste à l’Université de Sydney.

Je tue donc le temps entre écriture d’articles, montages vidéo et running.

Pour cette dernière activité, je suis obligé de la pratiquer à 18h.
Au moment où le soleil commence à tomber, mais la chaleur est toujours assez intense à cet horaire.

Les températures commencent ainsi enfin à devenir ce à quoi on peut s’attendre en arrivant en Australie. La trentaine de degrés l’après midi devient la norme, avec des pics au delà de 40 certains jours.

Oui. L’enfer.
C’est le mot.

Qu’importe, je ressens le besoin physique de courir, et cela me force à moins fumer dans le même temps. Je repousse toujours plus loin mes parcours, et je découvre les zones résidentiels nord-ouest reculées de Blaxland. Avec le soleil couchant, la lumière ocre rend l’atmosphère très particulière. Les maisons au style colonial jalonnent mon chemin, un style toujours atypique à mes yeux.

La culture anglo saxonne dans ses bons côtés, mais aussi dans ses côtés les plus farfelues. En effet en fin de parcours, je quitte la route principale qui amène à la station de train Warrimoo, et prend à droite pour me retrouver dans une rue résidentielle très Desperate Housewives, petit monde superficiel parfait, mais avec le caractère aussie. Et au milieu de cette rue, entre 2 maisons parfaitement retapées, je tombe sur une église. A part le panneau discret present à l’entrée, rien ne distingue ce bâtiment des autres. Ce qui fait plus secte qu’autre chose, et ainsi me fait esquisser un sourire.

Keith s’est acheté récemment un bout de terrain dans le sud-ouest du New South Wales. A une heure de route de Canberra, au milieu du bush, où la « ville » la plus proche, Braidwood, se trouve à 1h.

Mon hôte ne faisant jamais rien comme les autres, il a acheté ce terrain alors qu’il était…au Japon. En visite chez son frère qui y habite. Je lui fais part un peu de ma stupéfaction, mais pour lui il n’y pas de problème : « j’ai fait quelques recherches sur internet, j’ai vu des plans, je connais le terrain, c’est une bonne terre ! ».

Quand je dis petit bout de terrain, c’est un euphémisme. Sa propriété s’étendant sur plusieurs hectares. Et quand je dis propriété, c’est une exagération, dans le sens où tout est à faire sur place. Un baraquement s’y trouve, mais sans électricité.

Keith a des idées pleins la tête pour rénover la bâtisse ainsi que des projets de cultivations. Mais il manque d’argent, de temps et de bras. Pour y remédier, il espère pouvoir trouver des bons candidats sur HelpX pour l’épauler. Mais bien compliqué d’en trouver, et encore plus de les amener au fin fond du bush dans un confort plus que précaire !

Mon hôte doit s’y rendre dans quelques jours pour le week end.
Il me propose de le suivre si l’envie m’en dit.

N’ayant toujours pas de plan pour le moyen terme, je me laisse tenter.
Ca sera l’occasion de découvrir les terres profondes d’Australie.
Voir à quoi cela ressemble.

C’est ainsi que le vendredi 20 novembre, je me retrouve embarqué dans mon premier roadtrip à la sauce oz.
Apres avoir essuyé une petite suée en remplissant le van comme jamais, nous prenons la route en fin de matinée, sous un ciel bleu pur.

Après quelques kilomètres à rouler autour d’agglomérations, nous empruntons la voie rapide M31. Les grands rouleaux d’asphalte commencent à defiler devant nous. La végétation est pour autant toujours aussi verte à ma grande surprise. Des prairies à n’en plus finir, qui alternent de temps en temps avec des zones boisées.

Après 2h de route, nous nous arrêtons dans un Hungry Jack’s pour casser la croute. Mais qu’est-ce donc ? Simplement la franchise Burger King en Australie. Mais vu qu’une autre enseigne portait le même nom avant son arrivée, ils ont dû prendre un autre nom. Ce sera donc Hungry Jack’s. Je n’étais pas au courant de cette histoire avant de rentrer dans l’établissement, et quelle surprise donc de tomber sur des affiches de Whoopers au dessus du comptoir !

Cela a beau être une chaîne, son emplacement perdu fait que l’ambiance y est la même que dans n’importe quel café isolé. Quelques rares clients, une salle vide, la cuisine qui a l’air également désertique. Un seul visage, celui de la caissière, un peu ronde et allant sur une fin fin de quarantaine. Une locale à n’en pas douter. Keith, en extraverti qu’il est, ne pourra pas s’empêcher de faire un peu de talking shit avec elle.

Repu, nous reprenons la route.
Encore 2h de route devant nous.

Le soleil est toujours aussi lourd, et l’herbe devient enfin un peu jaune.

La police ralentira la circulation à plusieurs endroits car des feux de forêts se trouvent tout proche. Par certains endroits, la fumé est même bien visible. Quelques déviations, un hélico qui passe au dessus de nos têtes mais rien qui ne pourra déstabiliser mon bon Keith. Les feux, c’est la routine en Australie !

Dernier arrêt à Braidwood, dernière « ville » qui nous sépare de notre destination, encore cachée 1h plus loin.

Cette dernière possède un charme fou.

La rue principale est composée de bâtiments anciens tous plus colorés les uns que les autres. Une ambiance de western avec toutes ces devantures et verandas construites avec le soucis du détail. Des ornements et des finitions qui transpirent le début du 19e siècle.

Nous faisons quelques courses, puis c’est reparti pour une dernière heure en voiture, à travers les petites routes du New South Wales.

Les alentours redeviennent désertiques, avec des vallées boisées au loin.
A certains endroits, nous croisons quelques fermes. Mais cela n’a rien à voir avec ma campagne normande.

Les gens y sont tous aussi isolés, les troupeaux et les champs tous aussi présents, mais ils possèdent un confort moderne impressionnant. A l’américaine. Oubliez les vieilles bicoques, ici se sont des maisons contemporaines immenses et propres. Le pick-up neuf devant le garage, accompagné de quelques quads. Les engins agricoles sont du meme acabit.

Une grande difference aussi avec nos campagnes c’est qu’ici l’entretien des propriétés est pour ainsi dire parfaite. Ce n’est pas crade, tout est bien tondu, finition des bordures et désherbage inclus. Ce qui a pour effet à mes yeux de rendre tout cela un peu fade. C’est beau. Même très beau. Mais c’est presque trop beau, comme du papier glacé. Cela reste un cadre enchanteur et idyllique pour y passer sa vie.

Plus nous nous rapprochons de sa propriété, plus le sourire de la bête s’allonge.
Pas de voisin, pas de réseau téléphonique, mon Keith est dans son élément.

Nous pénétrons ainsi réellement dans le bush. Il suffit de jeter un oeil sur la route, qui ressemble davantage à un chemin, et qui par endroits n’est composée que de terre. Quelques kilomètres avant d’arriver, nous devons franchir une rivière en roulant sur une mince plaque de béton, à raz du sol. En cas d’inondation la route devient ainsi infranchissable…

Bref, le trou du cul du monde, mais le pire reste à venir !
Car une fois arrivé dans la propriété, le choc.

Il m’avait prévenu que c’était roots, mais je ne pensais pas à ce point là.
Plusieurs voitures dépecées sont présentes autour de la maison, comme un cimetière des éléphants.

La maison, ou plutôt le baraquement, a un look de grand garage.

L’intérieur est terrifiant.
Un capharnaüm sans nom.

Le lieu est gorgé d’outils divers, de planches de bois qui occupent toute la longueur de la pièce. Un matelas est disposé dans un coin à meme le sol et fait office de lit. Et quand je parle de sol, je parle de terre hein. N’allait pas vous imaginer la presence d’un carrelage ou d’un parquet, et puis quoi encore ! Seuls quelques carrés de moquettes sont dispersés un peu au hasard.

Pas d’électricité, on place donc la nourriture dans le garde manger. La cuisine se fera au gaz. Pour le chauffage, cela se fera au bois, avec un poêle d’un autre temps. Ce dernier nous servant aussi à faire chauffer de l’eau pour le dishwashing mais également pour la douche !

Enfin, un groupe électrogène, installé dans une épave de caravan à l’arrière de la cour, nous servira le soir pour éclairer notre espace ainsi que pour recharger nos appareils électroniques.

A la seconde où j’ai mis les pieds dans la baraque en bordel, en y entendant ce silence, j’ai presque été victime d’un vertige. Je réalise que je vais devoir vivre H24 avec Keith en mode camping. Je l’apprécie bien mon ours, mais là nous parlons de plusieurs jours en milieu fermé, isolé du monde. Ce n’est pas une crainte sur mon intégrité physique, mais plutôt sur l’aspect psychologique de la chose. Keith a ses démons intérieurs, et isolé du monde, à partager son quotidien chaque minute d’une journée, je ne sais pas comment il va gérer cela.

Pas de jeux vidéos ou de télévision pour qu’il se vide l’esprit.
Là on rentre dans du dur. On se retrouve seul avec soi-même et je crains certaines manifestations déplaisantes de sa part. De ne pas réussir à se contenir. Dans un huis clos, toutes les règles changent…

Into the bush, no one can hear you scream.