Le réveil me sort difficilement de mon sommeil de plomb. J’aimerais tant y replonger, mais j’entends que Keith, le mari de Katy, est rentré du travail. Il faut quand même que je fasse acte de présence, cela ferait un peu squatteur de bas étage, sinon.

D’une fraîcheur toute relative, j’ouvre la porte pour accéder au salon, avec réticence, me préparant à vivre un Waterloo tellement je ne me sens pas de communiquer en anglais.

Heureusement, très vite, je me suis senti très à l’aise et plus vraiment fatigué, arrivant à dialoguer sans me forcer. Et à passer une bonne soirée.

Je rencontre donc Keith, grand gaillard blond, avec une coupe de cheveux des plus… atypiques. Ce mot est souvent galvaudé mais là, pour le coup, il est employé à bon escient. Rien d’extraordinaire, cheveux courts, mais je ne saurais vous la décrire. Un fouillis improbable. Ce n’était tellement pas répertorié dans mon cerveau que j’en étais presque mal à l’aise les premières secondes. Vieil instinct de survie peut-être, lorsque vous n’arrivez pas à sonder la personne devant vous, j’imagine.

En tout cas, avec son accent il n’y a pas de doute, il est bien australien. Mais tout en étant bien présent, ça n’en est pas un des plus extrêmes, donc j’arrive assez bien à le suivre. J’adore particulièrement sa façon de prononcer le mot « no ». Comme tout Australien, cela ressemble plus à « nao » et c’est assez mignon, je trouve. Ça m’a rappelé un passage d’une interview de Zachary Levi qui expliquait comment Yvonne Strahovski, sa partenaire australienne, avait une façon différente de prononcer ce fameux « no », comparé au cast américain.

Nous discutons de tout et de rien en profitant de la cuisine de Katy. Cette dernière, originaire de Hong Kong, nous a concocté une noodle soup typiquement chinoise, avec les épices qui vont bien. Un peu trop, même, pour moi, bien que le plat soit diaboliquement bon. Elle me racontera plus tard qu’avant son arrivée en Australie, elle ne savait pas cuisiner, ce qui embêtait bien sa mère qui, vieille école oblige, lui disait qu’elle ne trouverait jamais de mari. Mais une fois arrivée à Sydney, elle a tout appris à vitesse grand V, car la cuisine australienne est bien trop loin de ses standards gustatifs.

Le jeune couple, fraîchement marié depuis 2 mois, s’est rencontré il y a plusieurs années durant un séjour touristique au nord de l’Australie. Katy a réussi par la suite à trouver du boulot en tant que photographe sur Sydney, donc c’est elle qui s’est déracinée.

Cette dernière part assez vite se coucher, le temps pour moi de passer un temps agréable avec son conjoint. Lui de me rassurer sur le fait que les Français n’ont pas plus mauvaise presse que les autres, malgré des faits qui peuvent un peu refroidir.

Tout en buvant un vin cuit local plutôt pas mauvais, nous parlons aussi un peu politique. Et moi de constater que nous avons définitivement les mêmes problèmes quel que soit le pays. Même manque de renouvellement de générations, même problème de bipartisme qui se succède au pouvoir, même utilisation du terrorisme pour museler un peu plus les libertés, même tentation de revenir sur les acquis sociaux. Il faut savoir en effet que leur régime salarié est assez semblable au nôtre, avec beaucoup d’avantages, rien de comparable à un strict libéralisme anglo-saxon.

Le lendemain, j’arrive à rester au lit jusqu’à 8 h, ce qui est assez honorable.
Pour autant, le réveil reste compliqué. Dans ma chambre très archaïque, je me demande ce que je fais là. Dans la cuisine qui déborde de partout, je me demande ce que je fais là. Sur l’imposant balcon qui donne vue sur une école primaire, cigarette au creux des doigts, je me dis que je suis bien trop vieux pour ces conneries, pour cette vie de bohème. La pression sociale et le conditionnement sont deux belles put****. Et/ou je suis bien trop faible pour y résister.

C’est une longue remise en question pour moi, qui ne date pas d’hier. Utilisant ce voyage comme un électrochoc de vérité. Aimais-je toujours cela ? La réponse en ce 8 octobre au matin n’est pas des plus positives. Pour dire les choses comme elles le sont, je ressens une sensation de rejet, comme un organisme rejetterait une greffe.

À détester d’avance tout ce que je vais rencontrer et découvrir. Ce qui se confirmera les premiers jours. Situation amplifiée par la géographie de l’Australie ; en effet, lorsqu’on étouffe, on pourrait trouver du soulagement en se disant que l’on pourrait bouger ailleurs, sauf que là, je me trouve sur une île-continent. Je suis fait comme un rat.

Malgré ce Fukushima dans ma tête, je me force à sortir voir un peu la ville.
Appareil photo au poing, mais sans motivation. Encore moins le courage de faire mon sac pour ma sortie. Tous ces gestes qui me paraissaient si naturels par le passé me pèsent beaucoup aujourd’hui. C’est là que je réévalue encore plus à la hausse mon trip aux US. J’avais une telle faim de voyager, et une telle énergie pour m’en donner les moyens. Arpentant les villes toute la journée, sans relâche, en immortalisant le maximum de choses avec mon appareil. Je ne sens plus cette énergie, et surtout ces 2 ans en France m’ont totalement coupé du rythme, ce rythme intense du voyageur baroudeur.

SydneyStreet

Arrivé à la station Guildford, je lis sur l’écran de contrôle que le prochain train pour le centre-ville passera dans 30 minutes. Très bien, cela explique que la station soit quasiment déserte. C’est le point assez pénible de leurs trains, la fréquence. Ce n’est pas comme un RER où vous attendez au pire 15 minutes. Là, parfois, si vous tombez mal, en plein milieu de l’après-midi, l’attente peut durer jusqu’à 45 minutes si vous vous trouvez en banlieue.

Aujourd’hui les nuages sont partis, le ciel est d’un bleu pur, et le soleil des plus écrasants. Les stations ayant toutes gardé un style assez colonial, avec cette chaleur, on pourrait ainsi facilement se croire au temps de la ruée vers l’or.

Les rames de train, chromées avec quelques bandes jaunes, plantent encore un peu plus le décor. Il est toujours intéressant de noter les différences de fabrication d’un objet standardisé selon les pays. Ici, si je je prends l’exemple des rames, hormis le fait qu’elles soient toutes climatisées – on comprendra aisément pourquoi – la différence la plus flagrante se situe au niveau des sièges.

En effet, ces derniers sont modulables. Vous tombez ainsi sur une cabine avec des rangées de sièges pour 3 personnes. Mais le dossier n’est pas fixe, il est possible de le pousser ou de le tirer vers vous. De telle manière que vous pouvez ainsi, au choix, avoir 3 places ou 6 places (3 dans votre sens, et 3 autres en sens inverse, face à vous). Pratique lorsque vous êtes nombreux mais du coup, cela crée un peu un grand désordre. Les passagers voyageant seuls se servant plus de ce mécanisme pour se trouver dans le sens de la marche. Un petit geste si quotidien et naturel pour eux, rabattre les dossiers de sièges, mais évidemment si étranger pour moi.

En parlant étranger et population, j’ai un peu l’impression de me retrouver à Vancouver. Cette dernière a pour surnom Hongcouver – dû à la présence d’une très vaste communauté asiatique – eh bien ici, c’est un peu la même. Pour en avoir parlé avec Keith, en Australie, les relations avec l’Asie sont fortes. Et quand on y pense, c’est assez logique si l’on regarde une carte, l’Asie étant le bloc le plus proche pour eux. Mais c’est toujours assez surprenant. Dans l’imaginaire collectif, on s’imagine l’Australie peuplée de WASP ou de Crocodile Dundee. C’est d’ailleurs aussi un peu l’image que l’on nous donne. Mais c’est au contraire très cosmopolite. Du moins pour Sydney, j’irai vérifier dans le bush plus tard pour vous !

Je descends à la station Central.
Son nom parle pour elle-même.

CentralSydney

13 h passe, je devrai bien trouver un truc à manger dans le coin.

Je déambule ainsi dans les rues de cette grande ville, avec son flot incessant de piétons, et moi me dirigeant tantôt à gauche, tantôt à droite, suivant mon humeur. Quelle drôle de sensation de n’avoir aucune espèce d’idée d’où on se dirige. À la fois grisant et déstabilisant.

Quand je pense qu’à Vancouver, vous trouvez des fast-foods tous les 100 mètres, ici, rien ! Je dois vraiment mal choisir mes rues. Ce qui se vérifia quelques jours plus tard, une fois que avoir pris mes repères, même s’il est vrai également que le paysage public ici est moins pollué de chaînes de restauration rapide.

Après quelques détours, j’arrive à retomber sur Circular Quay. Bon, au final j’ai juste traversé tout le downtown du sud au nord… Holà, le downtown, quelle idée ! Non, ici nous ne sommes pas en Amérique du Nord. Ici, on appelle le centre-ville CBD (Central Business District). Avant que je ne m’en aperçoive, j’avais déjà eu quelques dialogues de sourds avec des locaux en utilisant le mauvais terme.

Après une restauration rapide chez Ronald, avec toujours la même joie stupide de voir sa petite carte Visa française fonctionner si loin de son lieu de naissance, je me dirige vers les quais en face. Un jour de beau temps, cela a une autre gueule. L’ambiance fait très 15 août.

CircularQuay

Les terminaux des ferries de l’agglomération sont bondés en permanence. Se croisent sur la baie les embarcations vertes de ces derniers, les gros paquebots de croisière ainsi que des petites coquilles de noix pour touristes. Le trafic est ainsi assez dense.

Une fois le Harbour Bridge en vue, je longe la côte sur la gauche dans sa direction. Les routes, les rues, l’espace urbain en général de cette ville font très modernes et récents, à l’instar de leurs cousines nord-américaines. Pour un Européen, j’imagine, cela donne toujours un côté un peu faux, mais lorsqu’une ville a tout juste 227 ans, c’est en même temps assez normal.

Le temps de longer l’imposant bâtiment qui abrite le Museum of Contemporary Art ainsi que le non moins impressionnant terminal des croisières, me voici arrivé au quartier The Rocks.

© Greg O'Beirne
© Greg O’Beirne

Centre de commerce et d’activités maritimes par le passé puis délaissé de très nombreuses années, il aura fallu attendre les années 1970 pour que la ville s’intéresse à ce quartier riche d’histoire, et qu’elle commence à réhabiliter ces vieux bâtiments en pierre qui tranchent avec le reste de la ville. Un peu comme la réhabilitation des vieux docks portuaires, comme ceux du Havre, les vieilles pierres abritent maintenant cafés et autres restaurant hype.

J’arrive à un moment où le Harbour Bridge prend de plus en plus de place dans le paysage. Le spot pour faire ses photos de mariage, apparemment.

Tous les jours où j’ai pu y passer, c’était un défilé de belles voitures, de mariés et de photographes. Ce jour-là, sur un bout de pelouse, avec le pont en arrière-plan, c’est carrément sur un banquet de mariage que je suis tombé.

WeddingSydney

Pas très loin se trouve le Sydney Observatory. Un peu de grimpette mais cela devrait déboucher sur un point de vue sympa. Après être passé sous le Harbour Bridge, qui est vraiment immense vu de près, je le suis dans sa direction sud.

Un impressionnant escalier m’attend sur ma gauche, où des joggeurs s’épuisent à monter puis à redescendre en suant comme des bêtes. Putain les mecs, on est en plein après-midi et en plein cagnard, vous cherchez quoi, l’insolation ?!

Une fois là-haut, j’accède vite à l’entrée du Sydney Observatory. Ce dernier date des années 1850. On peut y trouver une collection d’anciens télescopes ainsi que des expositions sur l’astronomie.

SydneyObservatory

Un petit jardin se trouve derrière, offrant une vue sur Millers Point, la baie ouest de Sydney. La mer brille et les voiliers se régalent. Les bancs aux alentours sont tous occupés par des âmes venues chercher un peu de quiétude. Il est vrai que le calme est assez présent là-haut, mais il suffit de quelques mètres pour retrouver le bruyant Harbour Bridge.

Moi de mon côté, je commence déjà à piquer du nez. Je refais le chemin inverse pour retourner à Circular Quay, puis embarque dans mon train. Une fois n’est pas coutume, la fatigue est difficile à contenir durant ce long trajet.

16 h, je sonne à l’interphone, pour ne recevoir aucune réponse. La poisse.
Katy rentrera une demi-heure plus tard, me permettant de vite atteindre ma chambre pour une sieste plus que nécessaire. Mon horloge interne est tellement flinguée.

À mon réveil, Keith me propose de l’accompagner dans un liquor store pour faire le plein de bières australiennes. Étant un grand amateur de ce breuvage, il me guidera dans ma découverte des meilleurs marques locales, en me proposant un large panel de saveurs. De la plus cheap – VB – aux plus savoureuses – Kosciuszko et The Chancer.

BieresAustralie

Pendant ce temps, Katy nous a préparé un vrai festin.

La table remplie de plats chinois authentiques. Le genre de trucs que je ne vois que dans les restaurants d’habitude. Même si la photo est peu flatteuse, jugez plutôt.

PlatsChinois

Soupe miso, wings de poulets marinés, poulet cuit au bouillon et enfin, poisson. Avec les sauces typiques qui vont bien. Un délice. Rien qu’en écrivant ces lignes, j’en ai l’eau à la bouche.

Je lui demande si pour elle c’est un plat normal, et elle avait l’air de pencher pour le oui. L’occasion pour moi de féliciter Keith pour son bon choix d’épouse, et également de taquiner Katy en lui demandant si elle a une sœur.

La réponse est oui, by the way