En effet je ne possédais ni sac de couchage, ni couverture.
Car me trouvant dans l’ouest américain début juillet, je pensais naïvement que les nuits ne seront pas trop froides, et qu’en enfilant plusieurs vestes cela irait.

Faute grave.

Je m’endors assez facilement, mais me réveil bien vite avec une sensation de froid qui ne va plus me quitter. Je double mes chaussettes, je double mon jean, puis je me recouvre le corps de tous les vêtements qu’il me reste, mais rien n’y fait, le froid est toujours là.

Ma nuit sera donc glaciale, ponctuée de réveils intempestifs jusqu’à l’aube.
Vers 6h du matin, je m’aperçois que le jour est levé.

Malgré la fatigue je n’ai qu’une envie, me réchauffer au soleil.
Seulement les rayons matinaux de notre étoile sont tous sauf bouillants !

Je me les gèle quasiment autant.
En attendant que le reste de la troupe se lève, je sors mon appareil photo et part en virée.
Rien de mieux que la lumière si fantomatique de l’aube pour faire de beaux clichés.

Un peu à l’écart du camp, je croise Johnny qui commence à se lever.
Je m’aperçois ainsi qu’il a passé la nuit sur un tronc d’arbre, à un petit mètre du sol.

Juste lui, son sac de couchage et la nature qui l’entoure pour lui tenir chaud.
Sacré bonhomme quand même.

Une fois tout le monde debout, on se paye le luxe de se faire un petit café frais.
Lee dispose d’une machine pour en faire (système avec piston), et le café qui va avec.

Durant qu’on fait bouillir de l’eau, chacun partage la nourriture dont il dispose.
Biscuits pour ma part, fruits pour d’autres et même viandes séchées.

Je n’avais jamais encore testé ce genre de bouts de viandes, qui ont un aspect très plastic et qui se conservent à température ambiante, trouvables dans n’importe quelle épicerie ou station-service. C’est assez sucré je trouve, ça ne remplace pas de la viande fraiche, mais au beau milieu de nulle part, pouvoir consommer un peu de protéine est plus que plaisant.

Idem pour le café. Une fois prêt, quel pied de pouvoir en boire tranquillement au soleil.
Ce petit geste qui parait si anodin en temps normal résonne comme une petite victoire à ce moment précis. Car j’étais loin de m’imaginer pouvoir en profiter il n’y a encore que quelques minutes. Cette petite pause fringale se transforme ainsi en vrai petit déjeuner, et difficile de ne pas se sentir comme un prince à cet instant précis.

J’apprends que pour les autres aussi la nuit fut fraîche.
Et eux disposaient de sleeping bag

Mission de la journée, m’en trouver un en chemin.
Avant cela, on reprend la route, direction les Bagby Hot Springs.

Une fois garé, il faut suivre un chemin durant une quinzaine de minutes dans les bois.
C’est un peu long, mais le paysage aide à prendre son mal en patience. On traverse en effet beaucoup de cours d’eau, de petites chutes, qu’il est très plaisant de contempler au fur et à mesure de la ballade.

C’est alors qu’un peu plus loin, au beau milieu de nulle part, on commence à apercevoir des petits baraquements, disposés un peu de manière anarchique au beau milieu de la forêt. Fabriquées avec du bois sombre, assemblées de manière très basique, ces petites baraques ne font pas tâche avec le paysage. Il en ressort un côté très primitif, très bricolage.

En arrivant, on tombe sur quelques « cabines » privées, qui disposent tous d’une baignoire. En bois bien évidemment, comme tout le reste du complexe. Vu que ces cabines ont des portes, ce sont les seuls endroits où l’on peut se baigner nu.

Si on les longe un peu en allant sur la gauche, on tombe sur trois grands tonneaux, qui font office de bassins.
On peut y rentrer à quatre ou cinq en se serrant.

A la vue de tout cela, je ne peux qu’utiliser encore et toujours ce terme que j’emploi beaucoup : surréaliste.
Il est surréaliste de tomber sur un complexe pareil, en accès libre, au milieu des bois.

A ce moment précis, je me dis comme j’ai bien fait de faire du rideshare.
Enfin surtout comme je suis bien tombé !

On ouvre les robinets oxydés de chaque tonneau, d’où jaillit une eau bouillante.
Quelques pas en arrière, et on trouve une petite source d’eau fraiche.
Des seaux sont disponibles pour pouvoir en transvaser dans les bassins.

Une fois ces derniers descendus à une température supportable, tout le monde dans l’eau, pour un moment de détente improbable. A l’air libre. Quasiment chaque poutre et « mur » sont taillés au couteau, de noms de nos prédécesseurs. Il est en effet tentant de laisser son emprunte, pour bien signifier qu’on y était, dans ce lieu insolite.

Avant de quitter les lieux, Johnny trouve sur le sol à quelques mètres des cuves une petite boîte en métal circulaire.
Son contenu ? De l’herbe qui fait rire.

On est tous tombée des nues devant autant de chance, et bien vite les regards croisés et les grands sourires que chacun s’échange ne laissent présager qu’à une faible durée de vie de ce petit morceau de salade

De retour au parking, l’heure du midi est déjà passée.
On déjeune sur le pouce, ce qui permet à nos vêtements de sécher un peu, les ayants disposés au préalable sur le capot du gros pick up du ranger, seule voiture exposée au soleil à ce moment-là.

Chips, saucisson, fruits, bagels, là encore chacun met en commun ce qu’il cache dans le fond de son sac.
Un minimum sustenté, nous reprenons la route à travers les vallons emboisés du centre de l’Oregon. Avec pour simple ligne de mire, ce serpentin jaune orangé collé au milieu de l’asphalte.

Nous suivons la direction ouest jusqu’à la côte, pour pouvoir prendre la route 101 qui descend jusqu’en Californie.
Cette route longe le front de mer, et je sens un petit frisson d’émotion qui me parcourt à la vue de l’Océan Pacifique. Depuis le temps que je parle de la côte ouest U.S, depuis le temps que je me projette, à ce moment précis cela se concrétise enfin.

Je descends cette côte, et de la plus belle des manières.
L’Océan bleu d’un côté, une bande de joyeux lurons de l’autre, dans un van rempli à ras bord.

Epique.
Que dire d’autre.

Le paysage change donc diamétralement.
Les grandes plaines boisées font place à une verdure beaucoup moins exubérante.

Les colonnes d’arbres sont plus petites, moins touffues.
Ils sont bien plus adaptés à la brise marine qui les ballait 365 jours par an.

Le plus dépaysant reste la vue des plages de sable sur tout le littoral.
Car nous ne sommes même pas encore entrés en Californie !

Les heures passent, avec son lot de traversés de villes minimalistes, ainsi que d’arrêts dans des stations essence toutes plus perdues les unes que les autres. Le temps de soulager sa vessie, ou de craquer et d’acheter des cochonneries. Qui feront d’une manière ou d’une autre le tour du van… Nous sommes tous faible devant le péché.

La journée étant déjà bien entamée, on commence à faire des plans pour la soirée.
Johnny connait un camping sympa près de la ville de Florence.

Il est situé à deux pas d’une zone de dunes.
En effet les alentours de Florence font parties de l’Oregon Dunes National Recreation Area.

Tout son littoral est bordé de dunes, ce qui rend l’endroit assez magique.
Mais avant cela, on s’arrête dans un magasin pour acheter le nécessaire pour faire un barbecue digne de son nom : une tonne de viande et une tonne de bière.

En parallèle, je parcours tout le magasin en espérant trouver une couette, mais je ne trouve rien à part des modèles haut de gammes, où le prix le plus bas était $40.

Pour quelques dollars, je me résous à prendre un drap.
Pas épais pour un sou, mais après une nuit sans rien je devrais sentir la différence…

Quelques kilomètres plus loin, on rentre dans un petit sous-bois, qui correspond à l’entrée du camping.
Le jour commence tout juste à baisser en intensité.

Après avoir trouvé un bon emplacement, même rituel, montage de tentes.
Je commence presque à ne plus avoir besoin de William pour monter la mienne.
Moment de win pour un mec qui n’avait jamais fait de camping de sa vie un jour plus tôt.

On prépare le barbecue, et je tombe presque à la renverse à la vue de toute la viande qu’ils déballent.
Travers de porc, saucisses et j’en passe, en quantité vraiment familiale. On en aura encore pour le petit déjeuner le lendemain.

Cela faisait bien longtemps que je n’avais pas profité d’une telle opulence de viande rouge, et le plaisir que je prends avec ce repas est assez divin. Quelques bières, le morceau de salade qui tourne, la soirée se passe de la meilleure des manières.

Lee déconne avec son accent irlandais si particulier, car les autres ne comprennent parfois pas certains mots, en s’amusant du fait que même moi, maudit français j’arrive à le comprendre !

Il est vrai qu’il a un sacré accent, que je n’avais pas tellement remarqué au début.
Mais plus le temps passe, plus j’y prête attention, et plus j’entends vraiment la différence avec l’accent nord-américain.

Ce dernier est beaucoup plus « nivelé », l’accent irlandais, comme le british, a une prononciation avec des intonations beaucoup plus fortes. On accentue certaines parties d’un mot, et le silence, ou plutôt la retenue, a beaucoup plus d’importance.

C’est toujours un régal pour moi de découvrir des accents différents.
Comme une nouvelle couleur sur un tableau.

En fin, fin de soirée, une fois que la nuit fut bien installée, on se bougea pour faire une sortie au milieu des dunes.
La température est assez douce comparé à la veille, ce qui me soulage bien en vue de mon prochain sommeil.

La plupart de mes collègues ont une lampe torche.
Moi je n’en possède qu’une petite rechargeable manuellement.

Ce qui la rend bien pratique, pas besoin de pile, mais je ne vois pas à plus de deux mètres avec.
Le cas échéant, cela a pimenté un peu plus ma randonnée !

On se dirige un peu au hasard, au milieu des places de campings vides car tout le monde est au lit, pour tomber finalement sur un panneau « Dunes trail ».

Nous nous engageons sur cette piste ensablée, entourée de végétation.
L’excitation de notre petite troupe est palpable, enivré par la réalisation de cette idée un peu folle.

Après quelques minutes d’un terrain très vallonné et exigu, le chemin débouche sur un immense champ de dunes, totalement ouvert, que l’on devine immense malgré l’obscurité. A cet endroit elles ne sont pas très grandes, elles sont assez planes, ce qui renforce le sentiment d’infinité du lieu.

On s’y engage sous une lune blanche, et chaque pas demande maintenant une plus grande énergie, devant l’épaisseur de ce sable. J’ai le sourire aux lèvres devant ce spectacle unique, où je me crois réellement plus au Sahara qu’en Oregon. J’ai beaucoup de chance. Et ce n’est pas terminé.

Le relief est en pente douce, puis ensuite nous grimpons une petite dune pour avoir une meilleure vue.
Une fois là-haut, nous nous arrêtons quelques minutes pour admirer le ciel, qui est juste époustouflant de beauté.

Dans un silence religieux, au milieu de ces dunes qui vous font sentir étranger dans votre propre monde, le ciel s’en mêle pour nous dépayser encore plus. Un ciel étoilé comme rarement je n’en ai vu, très éclairé.

Et plus je le regarde, plus je suis intrigué.
Mes yeux s’attardent sur des grosses taches nébuleuses, des gros amas aux mélanges blanc, bleu et violet.

Je ne sais pas si ce que j’observe sont différentes galaxies, ou juste des morceaux de la voie lacté, mais le ciel en est peuplé quasiment entièrement, et nous renvois une lumière vive, très surprenante. C’était comme dans un livre scientifique, ou un documentaire à la télévision, où vous voyez des clichés de l’univers somptueux, bariolés de couleurs vives au milieu du noir glacial.

Sauf que là je voyais cela en vrai, et je ne pensais pas que c’était possible à l’œil nu.
Des beaux ciels étoilés dans un paysage préservé en campagne j’en avais déjà vu par le passé. Mais là cela n’avait vraiment rien à voir.

Je me suis senti astronaute durant quelques instants. Je me suis senti plus proche des étoiles que je ne l’avais jamais été. Un sentiment d’émerveillement, comme lorsque l’on est enfant.

J’ai raté de peu de chose une séance d’aurores boréales au Canada.
Mais après avoir assisté à ce spectacle, ma frustration est beaucoup moins grande.

Nous continuons notre progression, et plus nous nous enfonçons dans ce dédale de dunes, plus l’impression que l’on va se perdre augmente, et rajoute du plaisir à cette excursion nocturne.

Les dunes en face de nous sont maintenant vraiment énormes.
Je ne sais plus qui voulait en gravir une pour la blague, mais n’a pas osé le faire.
Moi il ne fallait pas me chauffer plus que cela, et je cours seul devant une vertigineuse dune, bientôt suivi par Lee et Johnny.

Les premiers mètres sont faciles avec la vitesse, mais plus l’inclinaison est grande, plus cela vous demande un effort physique énorme. Vos pas s’enfoncent dans le sable, vous en avez plein les chaussures, et très vite vous vous retrouvez à quatre pattes, la paroi devenant de plus en plus verticale.

Je force, et force encore, mais cela devient bien trop fatiguant.
Je m’arrête au milieu de la dune et reprend un peu ma respiration.

Seulement je vois les deux autres larrons qui commencent à me rattraper.
Je me dis merde, il faut que je finisse cette ascension, pour moi, pour la France.

Alors je reforce encore, mes jambes sont horriblement douloureuses, devant travailler deux fois plus pour compenser le fait que vos pieds s’enfoncent dans le sol. Après des efforts titanesques, j’arrive enfin au sommet, dos sur le sable, mort mais content.

Lee et John arrivent peu de temps après, tout autant essoufflés que moi, mais avec encore assez de souffle pour me niaiser gentiment à cause de leur avoir fait subir ça.

Durant que les deux autres continuent leur chemin, nous nous reposons au sommet de la dune, en silence, et en nous délectant encore durant quelques minutes de ce ciel si fantasmagorique.

Aucun de nous ne voudra se lever, mais après une dizaine de minutes il le faudra bien.
Pour ensuite essayer de retrouver son chemin dans ce labyrinthe de sable où vous avez l’impression de ne jamais pouvoir en sortir.

Nous retrouvons (trop) vite la civilisation, son bitume et son camping, et je me dois déjà de fermer cette parenthèse enchantée qui reste un de mes meilleurs souvenirs.