Concupiscence
Samedi 26 novembre 2016, mon dernier jour sur Kuala Lumpur a sonné.
Et il commence par un déménagement !
En effet la veille j’ai voulu prolonger mon séjour à mon hôtel mais cela ne fut pas possible.
J’ai donc dû booker quelque chose d’autre en catastrophe. C’est ainsi qu’au retour de ma soirée aux tours jumelles Petronas j’ai réservé le meilleur établissement que je pouvais trouver de disponible et dans ma gamme de prix.
Je tombe sur un hostel qui a l’air assez vétuste, mais il propose des chambres privées pour moins de 10€.
Cela ne sera de toute façon que pour une nuit, alors let’s go !
C’est ainsi qu’au petit matin, je débarque à l’hostel The Longhouse, qui se situe dans Chinatown, pour ainsi dire à 1 minute d’où je logeais précédemment.
Peinture fatiguée, poufs parsemés dans l’espace commun, va-et-vient des clients, accueil hasardeux de l’employé à la reception collé devant son écran à moitié endormi. Oui, il n’y pas de doute, je suis bien dans un hostel !
Le préposé au front desk, une fois réveillé, s’avère fort sympathique et me fait le traditionnel tour du propriétaire.
Les chambres privatives se situent dans un couloir. 6 côte à côte, pareilles à des cabines d’essayages, avec des portes aussi épaisses qu’une feuille de papier. Un simple petit lit se trouve à l’intérieur, seule chose qui peut y rentrer. Pour le prix il ne fallait pas s’attendre à mieux. Seule la porte en carton pâte me gêne assez vu le matos que je vais y laisser.
La journée fut assez morne. Les quelques matchs Tinder de la veille n’ayant débouchés sur rien, je me ballade juste gentiment dans Chinatown pour faire passer le temps jusqu’à demain où je partirais pour Penang. La journée va cependant s’accélérer en fin d’après-midi…
Après un tard déjeuner où j’ai mangé local dans un petit boui-boui, je retourne à l’hostel pour me renseigner un peu plus en profondeur sur ma prochaine destination. Les choses à y faire et aussi simplement comment m’y rendre ! Je devrais pour cela me rendre de nouveau au TBS, la gare multimodale par où je suis arrivé quelques jours plus tôt.
Tout en surfant sur mon laptop, je commence à converser avec une fille sur Tinder. On s’était juste parlé très succinctement il y a quelques jours, je lui avais même proposé de sortir boire un verre un soir mais elle était déjà prise. Et voici qu’on se remet à discuter sans que cela soit prévu. Et cela durera…l’après-midi entière ! Cette dernière travaillant à Ikea et les clients étant assez rare ce jour-là, elle avait tout loisir de tuer le temps avec moi.
Une fin de trentaine, malaisienne d’ethnie chinoise, elle fait partie de la classe moyenne/haute.
Même si l’anglais est très répandu en Malaisie, le sien est irréprochable. Le fait qu’à la maison, ses parents imposèrent l’anglais pour communiquer n’y est pas étranger.
Aaah, le tchat, quelle merveilleuse invention.
Si je vous parle de Tinder ainsi, c’est que je n’ai aucun tabou avec. Il n’y a rien de malsain, et c’est une aventure dans l’aventure, où rien n’est écrit d’avance. Où il faut avancer ses pions patiemment. Ne pas être lourd, rester drôle et amusant, tout en infusant une légère touche de séduction en toile de fond au risque de tomber dans la friendzone.
C’est un exercice assez unique, qui, comme un ami à Taïwan me fera aimablement remarquer après lui avoir raconté mes aventures : « This is art ! ». Je suis plutôt bon dans ce domaine, mais il n’y a pas de vantardise à avoir. Car cela reste du virtuel.
En effet, vous avez beau réussi à séduire une fille sur Tinder, le jour où vous la rencontrez en vrai tous les compteurs sont remis à 0. Là on joue pour de vrai, et c’est une nouvelle partie d’échec qui commence pour lui plaire IRL. Plus de smileys, plus de points de suspension pour vous aider. Cette fois-ci c’est un réel date sans aucun masque.
C’est pour cela que je n’ai pas de gêne à évoquer cela.
Car pour beaucoup, Tinder c’est 1 match = 1 fuck. Mais c’est très loin de la réalité. Comme précisé plus haut, il y a la séduction online, PUIS la séduction IRL où toutes les cartes sont redistribuées. C’est un vrai parcours du combattant, qui crée des histoires assez improbables. Des histoires plus intéressantes à raconter qu’une banale sortie dans un bar où la séduction se résume à s’envoyer des bières et à croiser le regard d’une personne aussi imbibée que vous avant de la ramener chez vous.
Après des heures à échanger, à en apprendre plus l’un sur l’autre et à jouer au jeu du chat et de la souris, notre histoire se décante un peu. Et il est…20h passé.
Plus de sous-entendus, elle accepte que je vienne passer chez elle lorsque son travail est terminé.
Ce qui est une donnée encore variable.
Elle me donne son adresse, et je m’aperçois avec effroi qu’elle habite à une quinzaine de kilomètres au sud de Chinatown. Dans la périphérie de Kuala Lumpur.
Je pousse un soupir du désespoir, car il est plus de 21h maintenant, la nuit est épaisse, et je n’ai aucune idée de comment je vais réussir à me rendre sur place. Je ne connais pas bien le système de transport en commun local, mais je l’imagine peu nombreux. Et si dans le plus grand des hasards je trouve quelque chose, le temps joue contre moi, les dernières correspondances ne vont pas tarder vu l’heure déjà bien avancée.
Je ne trouve qu’un arrêt (de bus ?) mais qui se situe à encore quelques kilomètres de son adresse. Je me voyais mal me taper une mission pour m’y rendre, puis me diriger dans l’obscurité dans un quartier que je ne connais pas. J’étais à 2 doigts de considérer la question mais j’avais oublié un léger détail : je n’ai pas de carte sim. Donc même si j’arrivais héroïquement jusqu’à son appartement je ne pourrais pas lui envoyer de message pour la prévenir de mon arrivée. Ou que je suis perdu.
Well well.
I’m fucked.
Mais c’est bien connu, quand on a faim, on a faim.
Je me résous à prendre un taxi. Because fuck this shit.
Alors que je demanderais à ma malaisienne quel serait un prix juste pour le trajet, elle aura pitié de moi. Me déconseillant les taxis, prétextant que se sont tous des escrocs.
Elle se montre disposée à me conduire chez elle.
J’ai eu beau insister sur le fait qu’elle vienne me chercher après son boulot pour ne pas trop l’embêter, elle a préféré rentrer, prendre une douche, puis me chercher ensuite.
Que de galères, que de péripéties, que de stress, mais enfin tout est réglé pour nous rencontrer.
22h, l’heure parfaite pour prendre une douche non ?
Malgré qu’elle soit vétuste et que son sol soit déjà trempé, je ne repousse pas la tâche. Pour pouvoir en ressortir propre évidemment. Mais également, et presque surtout, pour que mes cheveux ressemblent à quelque chose. Cette chevelure que je laisse vivre depuis de longs mois résulte en une masse mal proportionnée. Je ne trouve qu’un peu de salut après une douche, cheveux mouillés, où je peux les plaquer en arrière.
Après avoir enfilé ma plus belle (et seule) chemise à manche courte, une cigarette s’impose, je me dirige alors au fond du couloir vers l’arrière de l’hostel, pour accéder à une grande salle ouverte faisant office de terrasse improbable. Etant faite de vieux bois, donnant vu en contrebas sur un immense terrain en friche.
Une table centrale est présente.
Un employé, un de ses amis et un client sont disposés autour de cette dernière.
Les discussions vont bon train dans une bonne humeur générale.
Lorsque j’évoquerais le fait que j’ai un Tinder date ce soir, les réactions furent joyeuses. Pas optimistes. Mais joyeuses. Me souhaitant bien du courage, car cela n’a jamais fonctionné pour eux. Je ne peux pas leur en vouloir. Etant dans le même cas.
Dans l’expectative, je me dis tout de même que cela sent relativement bon.
Je suis quand même en contact avec une fille, fille qui va passer me chercher, pour me ramener chez elle ! What could go wrong ?
Malgré ce tableau qui semble idyllique, une légère anxiété apparait dans mon esprit.
Même si on a beaucoup discuté et que je porte une certaine confiance en elle, il reste que je me trouve en Asie du Sud-Est, dans une poudrière, et qu’ainsi je puisse très bien tomber dans un traquenard. Imaginant des histoires toutes plus sordides les unes des autres, je me limiterais à prendre avec moi un peu de monnaie et une carte bleue, laissant mon passeport et le reste dans ma chambre.
A mesure que l’heure avance, une autre pensée vient me tourmenter, de façon bien plus triviale : de quoi allons-nous parler durant le trajet de voiture ?
Allons-nous continuer à se chauffer doucement mutuellement comme lors de nos derniers texts, ou allons-nous opter pour une conversation plus casual, en parlant de la pluie et du beau temps ? Ce qui qui serait assez gênant, car on sait quel est l’objectif final de cette virée…
Bref, après le rush ressenti, et légitime, d’avoir obtenu un rendez-vous, la réalité frappe à la porte, aves ses questionnements et ses doutes. Il va falloir assumer.
Peu après 23h, je descend sur la rue qui longe l’hostel.
La nuit, sans originalité à Kuala Lumpur, est sombre et moite. Le quartier est tranquille, mais en plein Chinatown, le calme peut être trompeur.
Bien vite, une voiture arrive et s’arrête à proximité.
Je me rapproche de la portière gauche, où la vitre descend. Sur le côté droit, je la vois en vrai enfin. Pareil que sur ses photos. Des cheveux mi-longs lisses qui tendent sur du châtain. Une femme au jolie minois, avec un visage aux traits doux mais à la fois sévères. Je n’ai pas à faire à une jeune étudiante mais une vraie working girl qui travaille beaucoup.
Sa premiere phrase envers moi, qui sera une question, est assez cocasse : « Do you have any drugs with you ? ».
J’esquisse un sourire et lui répond par la négative.
Une fois dans la voiture, j’avance à tatillon.
Son comportement est assez froid, dans la retenu. Pas de dirty talk au programme, on en profitera juste pour parler de choses et d’autres pour mieux se connaitre. Bien que sur la réserve, il est facile de discuter avec elle. Avec 2 inconnus, les sujets de conversations sont de toute manière faciles à trouver !
Son quartier, excentré du centre de KL, est une cité dortoir pour la classe moyenne.
Il est composé de plusieurs résidences, toutes protégées par une barrière à l’entrée, où il faut montrer pâte blanche au gardien pour pouvoir entrer. Ce dernier disposant d’un petit espace vitré et de quelques collègues. Loin du centre-ville où l’insécurité est palpable, les employés et cadres viennent loger ici pour gagner en sérénité.
Après avoir grimpé quelques étages dans un ascenseur, nous voici dans son appartement.
Grand et moderne, à l’occidentale. Je pourrais très bien me trouver dans un flat à New York. Seule la présence d’un immense ventilateur au plafond et d’un système de climatisation perfectionné trahissent que nous sommes en Asie.
Elle me propose de regarder un film, j’acquiesce.
Ne savant pas trop quelle attitude aborder.
Une bière à la main, je m’installe sur son très large canapé de bien 3 mètres, sur le côté gauche.
Elle, sur le côté droit. Nous sommes donc physiquement très éloigné…
En face de nous, un écran de television lui aussi colossal.
Netflix se lance, et après plusieurs minutes de recherche nous nous arrêtons sur The Terminal.
Le film se lance, dans un silence religieux.
Je la sent vraiment sur la défensive, limite timide. Je marche sur des oeufs et il est donc compliqué de tenter une approche.
Le film avance, les bières descendent, mais je suis toujours pris dans cette spirale infernale.
Elle dans son coin, moi dans l’autre, sans communication. L’affaire est mal engagée.
Je prendrais sur moi pour oser me rapprocher d’elle, mais cela n’aboutira à aucune évolution.
La fin du film approchant, j’hallucine assez devant cette scène que je suis entrain de vivre. Après tous ces texts, après être venu me chercher, je me retrouve à regarder un film dans une platitude comme rarement vu dans la platitude.
Ce n’est pas naturel, un peu comme un cheveux dans la soupe, mais je dois essayer un rapprochement.
Je prend plusieurs minutes pour prendre du courage, comme avant un saut à l’élastique. Puis je ne réfléchi plus et j’y vais : je passe mon bras autour de son cou.
Elle esquissera un sourire en me disant « you don’t need to do that ».
Bien qu’elle ne me repousse pas, ce n’est guère encourageant.
Cinq minutes plus tard le film s’achève.
Deux heures se sont écoulées sans aucun mouvement ou presque. Comme si elle n’assumait pas et s’était mise dans une bulle durant 120 minutes.
En se levant et après avoir rangé quelques trucs, elle me propose de me ramener à mon hostel.
Les bras m’en tombent.
Une enclume sur ma tête.
Tout ça pour ça.
Faire venir un mec chez soi si tard pour n’aboutir sur rien !
Je me dis que je suis maudis.
Et que dans la longue histoire des dates, l’humanité n’avait encore jamais connu pareille déconvenue.
Je lui répond par un « come on, you did not bring me here only for that ».
Un nouveau sourire se dessine sur son visage, mais il reste fermé, et ne laisse aucun doute sur le fait qu’elle va me raccompagner.
Vu ma déception elle me propose finalement de dormir sur le canapé si je le souhaite.
Ce substitut n’aidant en rien à me consoler.
J’accuse toujours le coup, et lui demande où je peux fumer, ne pouvant pas tenir une telle situation sans cigarette. Dans le plus simple des mondes, elle me dira dans le salon, en faisant coulisser une fenêtre.
J’éponge mon amertume dans la fumée.
Elle vogue à ses occupations.
Puis elle viendra s’installer de nouveau sur le canapé, qui se trouve à côté de la fenêtre.
Elle commencera alors à engager la conversation. Au départ je ne lui répondais que par des phrases courtes. La frustration me dominant encore. Mais au fur et à mesure, je l’ai senti enfin ouverte, curieuse. Pareil que dans nos texts, pareil que durant le trajet en voiture, où les discussions aller bon train et qui étaient for agréables.
On en apprend plus sur nos vies respectives, on s’amuse de nos différences et de nos différents chemins.
Elle a enfin baissé sa garde et on passe un réel bon moment à échanger.
Une fois ma clope finie, je reste dans le salon, sans motivation d’y passer la nuit.
Mais je préfère encore cela que de rentrer à l’hostel et de dormir dans ma cabine d’1m2. Il est 1h du matin passé qui plus est…
Changée en tenu pour dormir, elle sort de sa chambre, adjacente au salon, et m’invite à passer la nuit avec elle si je le souhaite. Mais avec sa réserve légendaire, je ressent que cela sera juste pour dormir et que je n’ai rien à espérer de plus. Je me dis mais quelle vicieuse ! Me faire venir dans son lit juste pour du platonique, voici le dernier supplice qu’elle souhaite me faire vivre. Je me sent une nouvelle fois bien aigri, mais accepte l’invitation. On sait jamais, sur un malentendu ça peut marcher. J’insiste sur le fait qu’à ce moment précis, le malentendu, je l’estime à 1 % de chance de se produire.
Dans la salle de bain, je me change et effectue une rapide toilette, puis je la rejoins.
Son lit est grand et douillet. La climatisation en marche en fond sonore rend l’atmosphère plus respirable.
Lumière éteinte, seulement faiblement éclairé par les lumières faibles et froides de la nuit qui passent à travers la baie vitrée, nous recommençons à parler. J’arrive à la faire rire, comme toujours, dès lors qu’elle s’ouvre un peu.
Cela durera une dizaine de minutes. Puis quelques blancs viendront parsemer nos échanges. Des blancs terrifiants, car ils me faisaient apercevoir la suite du programme. Dormir. L’un à côté de l’autre. Moi sur la béquille.
Pour repousser le plus possible ce moment, je lancerais le plus de conversations possible.
N’arrêtant pas de parler et de trouver de nouveaux sujets. Mais après 10 nouvelles minutes, j’ai épuisé tout mon stock.
Nous y voilà.
Il est 2h du matin, le silence est roi, et je la vois se tourner sur le côté en position pour dormir.
Je me refais le film de la soirée dans ma tête, et je reste assez médusé sur son déroulement.
Comment se peut il qu’une histoire qui commence par une fille qui vient vous chercher elle-même en voiture à la nuit tombée pour vous ramener chez elle peut elle se finir dans son lit en toute chasteté. Encore une fois, je pense que l’humanité n’avait pas encore été témoin de pareil échec.
Les minutes passent, mais je ne me montre pas encore résigné.
I have to make a move.
Si tu veux qu’il se passe quelque chose, c’est à toi de tenter une approche.
L’équation est assez simple, il faut juste accepter l’idée de se faire possiblement rejeter. Là est toute la difficulté. Mais je ne sais que trop bien que vivre avec un regret est bien pire que de vivre avec un rejet.
Je sais que le temps joue en ma défaveur.
Je dois agir, et vite.
Je me prend pour autant encore une bonne minute à rassembler une nouvelle fois mon courage, à faire le vide avant de me jeter de la falaise sans filet.
Et puis enfin…
Je saute.
Je me rapproche d’elle et lui glisse à l’oreille un innocent « are you sleeping ? ».
Elle se retourne, son visage face au mien. Elle bafouille quelques mots qui ne forment aucun sens.
Une dernière seconde de doute.
Je l’embrasse.
Elle ne me repousse pas.
What a relief.
Plus tard, lorsque nos corps auront repris une température normale, je ne pourrais m’empêcher de me lever pour en griller une dans le salon. Histoire de méditer sur cette soirée rocambolesque qui restera dans les annales. Et de savourer, enfin, en lançant Digital Bath de Deftones sur mon iPhone.
Je retourne ensuite dans les draps de ma princesse, où, côte-à-côte et main dans la main, nous tâcherons de dormir en utilisant les quelques heures qui nous restent avant le levé du jour.
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