Retour furtif dans ma garçonnière du jour, où il y règne toujours un silence de cathédrale. Les écrans des smartphones étant bien plus silencieux que des claviers d’ordinateurs.

Le temps d’accueillir un jeune homme qui, allez, mouillons-nous, devait être Taïwanais. Un peu perdu avec les numéros de lits, je fais preuve d’humanité et d’ouverture en lui filant un coup de main avec le sourire, pour contraster avec l’indifférence du reste de la chambre.

Je sors bien vite de l’hostel, direction le premier café qui croisera ma route. Un petit bloc plus loin, au croisement de Hay et Pitt st, j’entre dans un Gloria Jeans Coffee. A défaut de Tim Hortons…

Gloria-Jeans

Pas de présence d’un large éventail de donuts ici, mais  il est trop tard, il m’en faut un. Seul un donuts est présent sur l’étalage. Avec un topping…rose. Well. What the hell, I don’t care. Je précise bien au cashier que oui oui, c’est bien cela que je veux.

Accoudé sur une table, j’ai vu sur la rue et sur la terrasse.

Sur cette dernière, un groupe de jeunes gens, très probablement en working holiday, se retrouvent. 18h vient de passer. Je les regarde, envieux de leur indécence à se montrer ainsi heureux en public.

Sur ma table, mon stylo et mes cartes postales, encore vierges. Elles mettront du temps à se noircir, car les états d’âme n’y ont pas leur place. Il faut faire semblant, rester vague.

La boutique de souvenir m’a bien eu au passage. Les timbres qu’ils m’ont refilé ne sont pas autocollants. Ils sont à l’anciennes. Et il faut 2 timbres par lettre, avec un total de 4 cartes. Donc j’aurais 8 fois la joie de pouvoir peaufiner ma technique de cunnilingus. J’aurais bien eu besoin de lubrifiant sur la fin.

La nuit est tombée.
Le coffee shop s’est vidé, et s’apprête à fermer.

L’heure de sortir dans les rues de Sydney lorsque la pénombre est reine. Comme n’importe quelle ville, le changement d’ambiance est assez radicale.

Les néons qui se reflètent dans les ruelles sombres. La foule qui devient trouble, et la population qui devient plus anticonformiste. Les papillons de nuits sont de sorties.

Crowds

Ca grouille gentiment autour de George St. Une des grandes rues populaires qui transperce Sydney. C’est un peu l’ambiance de notre « quartier de la gare » transposée sur une rue rectiligne. Les commerces et restaurants asiatiques pullulent, les clients aussi, et je me croirais presque dans une scène de Blade Runner.

Une pluie fine vient parachever le tableau. Le tableau de cette fresque à l’atmosphère bleu nuit, angoissante et intrigante. Sentiments renforcés par l’inconnu. En effet, déjà que le jour je peine à avoir des repères, la nuit toutes vos références disparaissent. Vos sens sont pourtant en plein éveil, booster par ce changement d’ambiance soudain, mais tout parait si different.

Je me faufile une fois de plus dans un macdo. Car pour 8$, je sais que je bouffe de la merde, mais je la connais. Le prix est fixe, et le risque d’avoir une diarrhée intempestive est plus réduite qu’ailleurs.

Mon McMerde entre les mains, derrière moi, deux jeunes gens discutent. L’un Belge flamand, l’autre, ma mémoire me fait défaut, mais je dirais une Allemande. Le centre de la discussion étant les problèmes entre différentes populations, différentes minorités.

Je me souviens surtout du Belge, bien remonté contre les Wallons, qui ne feraient pas l’effort de parler anglais lorsqu’ils se trouvent en partie flamande. Parlant directement en français aux locaux sans leur demander, au préalable, en anglais, s’ils parlent français ou non. Je souris dans mes moustaches car, bien que français et non belge, je me sens un peu concerné et ce dernier n’a pas la moindre idée qu’un francophone est accoudé tout près de lui. Mais plus sérieusement, c’est là que l’on peut voir qu’entre Wallons et Flamands la tension est et restera toujours vive.

En rentrant à l’hostel, je me cale une bonne heure pour trouver une chambre sur Airbnb. Avec toutes les difficultés du monde, j’arrive à en trouver une pour le lendemain soir. C’est dans la banlieue sud de Sydney, et je ne pourrais accéder à l’appartement qu’après 22h. Le précédent « client » partant le jour de mon arrivée, Sheena, mon hôte, a besoin d’un peu de temps pour cleaner la chambre. Qu’à cela ne tienne, j’ai tellement envie de quitter l’univers hostel que je suis prêt à tous les sacrifices.

Et la nuit que je vais passer me poussera encore plus vers cette direction… Dans mon dortoir 6 bedrooms, 2 ronfleurs se sont glissés. Le ratio est vraiment mauvais, ayant l’expérience pour comparer !

Et le plus actif est…le taïwanais, au dessus de mon lit, que j’ai aidé quelques heures plus tôt. J’enrage. Fait du bien à un chien et il te chie dans la main !

© Mark Gray
© Mark Gray

L’arrivée de l’aube fut donc un soulagement.
De bon matin, je me presse donc pour faire mon check out.

Bon, maintenant j’ai juste une journée entière à m’occuper ! Je me débarrasse de mes sacs dans un casier pour la journée, et en avant Guingamp.

Direction la gare Central toute proche, histoire de prendre quelques clichés.

Beaucoup de monde dans les alentours, la journée va bientôt commencer pour la majorité des employés. Dans ce flot de va-et-vient, une personne s’étonne de me trouver ici à prendre des photos. Ce bon gaillard australien, bien extraverti, me propose de le prendre en photo. Why not dude ! Il essaya de ramener son pote avec lui mais ce dernier n’étant visiblement pas aussi exubérant. Hasard des rencontres…

GuySydney

Derrière moi se trouve Belmore Park, et je m’amuse de voir les oiseaux qui y trainent. Des pigeons, des mouettes, quoi de plus commun, et la petite touche australienne, des Ibis. L’air de rien, au milieu des autres.

Ibis

En remontant George St, le choc des époques est frappant, avec des bâtiments en pierre des années 1800, surplombés par des gratte-ciel modernes et (trop ?) lisses.

OldNewSydney

Un peu plus au nord, je retombe sur mon nightmare. Enfin le cauchemar de tout photographe (ceux n’ayant pas de grand angle) : le Queen Victoria Building. Un bâtiment gigantesque, recouvrant rien de moins qu’un bloc entier. Achevé en 1898 et rénové en 1986, il abrite aujourd’hui un centre commercial sur 4 étages, avec principalement des marques de luxes. L’architecture victorienne et byzantine en jette pas mal.

Encore un peu plus haut sur George St, avant le croisement avec King St, je trouve un nouvel exemple, avec le Strand Arcade. La façade est gorgeous, et l’intérieur est tout aussi époustouflant. Les finitions laissent de marbre, quelque soit l’endroit où vos yeux se posent. Certains couloirs me font penser aux Passages que l’on peut trouver à Paris, comme celui des Panoramas.

© Blaine Harrington
© Blaine Harrington

Le soleil baigne entièrement la ville, je décide alors de me diriger vers l’Harbour Bridge et de le traverser à pied. La vue doit y être sympa.

Une fois en dessous du pont, je redescend vers le sud, et me dirige à l’oeil, en guettant la moindre entrée. Une grande et belle ouverture s’offre a moi, je m’y engouffre. L’intérieur, une ancienne aile rénovée pour l’accueil des touristes, avec un grand hall contenant un front desk, une boutique de souvenirs et un café.

Tout cela me parait un peu trop pour un simple accès à la zone piétonne du pont.
Et en effet…

En fait, je me trouve à Climb Base, la zone de départ pour l’attraction BridgeClimb, qui pour une centaine de dollars, vous permet d’escalader le pont.

Bien ! Très bien ! Oui mais non. Il faut continuer à longer le pont 5 minutes supplémentaire pour enfin pouvoir accéder à l’escalier qui amène au pont.

Une fois gravi ce large escalier en pierre, j’ai sur ma gauche Dawes Point, l’extrémité sud du pont, avec son impressionnant tapis d’asphalte. Jugez plutôt : 8 voies pour les voitures, 2 pour le train, 1 pour les cyclistes et enfin 1 pour les piétons.

HarbourBridgeRoad

Là haut la vue est effectivement vraiment sympa. En gratuit, c’est peut être le meilleur moyen pour bénéficier d’un panorama de Sydney. Enfin je parle un peu vite, car la vue sur la ville reste plutôt limité. On ne peut voir réellement que le bord de mer. Par contre une chose est sûr, c’est un super endroit pour prendre en photo l’Opéra !

L’air est, une fois n’est pas coutume, et même sur le pont, irrespirable. Une fois arrivé à North Shore, à l’autre extrémité du pont, mon dos, collé derrière mon backpack, est déjà en mode sauna.

De nouveau sur le plancher des vaches, je tombe sur un essaim d’écoliers. Il est dur de ne pas les remarquer en Australie, car ils portent tous l’uniforme. Accompagné de quelques adultes, ils s’agglutinent sous les derniers pylônes de l’Harbour Bridge, où une vaste pelouse se transforme le temps d’une après midi en un immense terrain de jeu. Dans cette belle cohue, où tous les âges se mélangent, une partie de football est engagée, aussi anarchique que dans une cour de recré.

J’essaye de prendre quelques videos en loucedé, mais n’ayant pas mon zoom sur moi je galère pas mal pour être discret. Car bon, prendre des images d’enfants avec son boitier reflex bien voyant c’est un coup à finir au poste ! J’avais gardé mon pantalon, donc j’étais couvert.

Je suis maintenant la côte du sens nord ouest, contournant Lavender Bay.
Sur ma droite, je croise l’entrée de Luna Park, creepy à souhait.

© Alex Proimos
© Alex Proimos

Ce parc d’attraction, ouvert en 1935, sur les restes du chantier de l’Harbour Bridge, a eu une vie plus qu’agitée. On ne compte plus les fermetures et les ouvertures. Cela en devient presque un sketch.

Arrivé au charmant, mais loin d’être nivelé, Wendy Whiteley’s Secret Garden, la chaleur m’a déjà consumé, et je profite de la présence toute proche de la station Milsons Point pour retourner en centre ville. Et passer la fin de journée dans un café climatisé.

19h. Le soleil s’apprête à bientôt nous quitter.
L’heure pour moi de me bouger.

Je mange un morceau en vitesse, puis redescend George St pour atteindre mon hostel. La location de casier payée, le bourricot chargé, je rentre dans Central pour prendre un train m’amenant à Circular Quay. Sur place j’y trouverais des bus qui se dirigeront vers l’adresse de mon hôte Sheena. C’est même elle qui m’a précisé lesquels, le 394 ou 399.

Je me dirige ainsi vers Maroubra, suburb se situant au sud est du CBD de Sydney, et distant de ce dernier d’environ 30 minutes.

Une fois arrivé à Circular Quay, je me pose sur un banc d’un des 4 arrêts de bus disposés de part et d’autre de la route. Une bonne dizaine de lignes doivent passer ici. La loterie peut commencer. Alors c’est quand que mon numéro va sortir ? …eeeet bien 20 minutes plus tard au final.

Vingt minutes pour laisser la pénombre s’installer.
Vingt minutes pour apprendre que pour certains bus il faut réserver sa place à l’avance.

Vingt minutes de bus à l’arrêt devant moi, qui, étrangement, malgré le fait que ce soit des Mercedes « plutôt » récents, me font penser terriblement aux bus Renault de ma jeunesse, années 90. La vision des roues et des larges alvéoles sur leurs enjoliveurs me ferait presque l’effet d’une madeleine de Proust.

Du temps où les autobus avaient leur moteur qui ronflait sévèrement à l’arrière, où les tickets étaient en carton et qu’il fallait les oblitérer dans une machine orange. Du temps où il n’y avait que 2 portes, et qu’elles s’ouvraient à l’aide de 2 boutons rouge situés entre le volant et le comptoir du chauffeur. Du temps où les 24 premiers jours de décembre me paraissaient interminables. Du temps où les fournitures scolaires débarquaient dans les rayons des magasins en aout et pas début juillet.
[havrais] Du temps où Gaumont si situait Boulevard de Strasbourg[/havrais].

394.
Ok je prend.

Je me débat dans le bus plus que je me déplace, avec mes 2 inséparables backpacks. Encore heureux, Circular Quay est plus ou moins un terminus, le bus est donc quasiment vide. Je me cale côté fenêtre, et n’ai d’autre choix que de lâcher mon gros sac à dos sur le siège d’à côté.

Il fait noir dehors. La ville s’illumine de lumières. Je sens que je vais apprécier cette exploration nocturne dans les rues de Sydney. Quelle bonne idée d’avoir embarqué à Circular Quay. Car très vite, en quelques stations, le bus se remplit. Et même en quittant le CBD, les stations sont toujours noirs de monde. Les banlieusards rentrent chez eux. Tout le monde est serré comme dans une boite à sardine. Et bien j’étais loin de m’attendre à cela !

Dans mon autobus, 80% des passagers sont asiatiques. Des étudiants, des salariés, des retraités avec leurs journaux chinois. Quelques sièges devant moi, je ne peux m’empêcher de fixer une jeune femme blonde caucasienne. Elle sort tellement du lot.

Dure de distinguer quelques choses à travers les fenêtres. Tout se ressemble assez. Entre 2 carrefours, des rues rectilignes abritant des petits commerces, tabacs et restaurants de quartier.

Cette situation me gêne assez, car le bus n’affiche pas le nom des prochains arrêts, ni ne les annonce en message sonore. C’est bien ma veine ! Je ne peux vraiment rien différencier de l’extérieur, et impossible également d’avoir le temps de lire la plaque du nom d’une rue.

Ma mission est de m’arrêter à Fitzgerald Avenue. Un nom qui ne s’invente pas et que je n’ai pas trop de mal à retenir. Seule solution, fonder tous mes espoirs sur cet étrange appareil. Un smart…smart quoi ? Ah smartphone. Ma soeur se séparant de son Iphone avant mon départ, j’ai pu en faire l’acquisition. J’aurais continué avec joie ma vie sans cet appareil, mais aujourd’hui niveau technique, si jamais par exemple je veux me procurer un drone, il me faudra un smartphone pour le piloter.

Donc bon gré mal gré, je l’ai embarqué avec moi, et je tâtonne méchamment. Bienvenue en 2007 Anthony ! Je pianote à 2 à l’heure, d’un doigt comme les plus de 40 ans, et chaque jour je découvre des choses qui doivent être des plus banal pour le reste du monde. En l’occurence, je m’émerveille devant l’appli googlemap, qui me localise or que je n’ai ni carte sim ni wifi.

Je peste un peu de voir que la NSA peut me pister ainsi à la trace, mais en cette fin de journée perdu dans la noirceur des suburb de Sydney, je ne peux pas faire le difficile.

Je suis mon trajet en temps quasiment réel sur mon petit écran, alors que mon bus s’engage sur la principale route sud est de la ville, Anzac Parade.

Fitzgerald Avenue est à porté de vue. Je saute sur le bouton arrêt demandé, et, digne d’une épreuve de Koh Lanta, j’affronte le bloc des passagers debout, à contre courant, pour atteindre la sortie. En essayant d’écraser le moins de monde possible avec mes backpacks. D’une souplesse héroïque, je sort mon Opal card de mon portefeuille, puis effectue un double axel pour faire valider ma carte à la borne située à l’arrière du bus.

Sur le trottoir, fatigué par ces 2 minutes d’efforts, il fait toujours nuit noir et je me trouve au milieu d’un grand carrefour à 4 voies isolé. Et pas la moindre idée du chemin à prendre. Complètement paumé, mais content. Je me demande une fois de plus ce que je fais ici, mais cette fois ci dans le bon sens du terme. Avec le sourire. Le sourire de ceux qui se retrouvent coincé quelque part au bout du monde, mais qui sourient à pleines dents en pensant déjà au moment où ils vont se rappeler de ce moment, 6 mois, 1 an, 10 ans plus tard.