Enfin au coeur du bush, je me prend d’espoir de pouvoir croiser un peu de vie sauvage, et pourquoi pas des kangourous. Lorsque l’on vient d’arriver en Australie, c’est un peu une obsession que partage tous les arrivants. Cela passe vite.

Keith m’indique que si je m’aventure dans les environs sans faire de bruit, il y a de grandes chances que j’en croise. Mais cela sera une nouvelle fois un coup d’épée dans l’eau !

Enfin j’exagère. Après 10 minutes de marche à me perde dans le bush, en faisant un bruit de tout les diables à chacun de mes pas à cause de toutes les branches mortes qui jonchent le sol, je commençais à perde la foi.

C’est alors que j’aperçois, à une dizaine de mètres devant moi, un kangourou, en pleine séance de chilling. Seulement le temps de tenter quelques pas plus en avant, appareil photo au poing, la bête déguerpi aussitôt, dans de grands et longs bonds si caractéristiques de l’espèce. La rencontre fut donc plus qu’éphémère, et ainsi la frustration domine la satisfaction.

De retour au baraquement, Keith me propose de me montrer un peu les alentours de son terrain. Pour cela nous embarquons dans une des épaves présentes devant le bâtiment. A bord d’un 4×4 Daihatsu blanc, ayant connu son âge d’or lorsque Coluche était encore en vie, Keith me fait le tour du propriétaire. A la sauce oz…

Déjà, le moteur arrive à faire autant de bruit qu’un avion au décollage. Il m’indique qu’il suffirait de pas grand chose pour le remettre d’aplomb. Mais pour l’heure, sortez les boules quies.

Ensuite, je ne sais pas s’il avait pour envie de m’impressionner, mais il conduisait à tombeau ouvert. Profitant que cela soit un 4×4, qui plus est avec un pare buffle, mon australien roule comme un assassin à travers la dense végétation de son terrain. Il force le passage dans toutes les directions, et n’hésite pas 2 secondes à rouler à travers buissons, branches envahissantes et petits arbustes…

Sa grosse paluche en permanence sur la boite de vitesse, mon ours s’amuse, tandis que moi j’essaye de trouver ma respiration.

On fait quelques arrêts, et il m’explique que la quiétude de son terrain ne risque rien. En effet, il est bordé sur ses 2 côtés de terrains protégés par l’Etat. Les constructions y sont donc impossibles.

En attendant, son terrain à lui n’est qu’une immense friche de poussière et de buissons.
Mais aussi d’arbres. Et du bon !

Autant pour se chauffer que pour construire.
C’est sa fierté personnelle.

De retour dans le baraquement, la pénombre est tombée.
Les mouches qui y était rentrées par dizaine dans la journée ont eu la gentillesse de plier bagage.

Je jette un oeil sur les nombreuses tronçonneuses et chaînes qui gisent dans le bâtiment un peu comme les voitures à l’extérieur. Posées là à l’abris du temps.

Keith, dans sa finesse légendaire, me demande si je lis l’anglais. Je lui répond que oui. Il me balance alors le manuel d’une de ses tronçonneuses. « Potasse ce bouquin, demain tu vas m’aider un peu à couper du bois ».

Je prenais cela pour une blague, mais il était des plus sérieux.
Il compte réellement me laisser une tronçonneuse entre les mains !

Téméraire mais pas fou, une légère panique m’envahit à l’idée d’utiliser une machine capable de me trancher un membre aussi facilement que l’on enfonce un couteau dans du beurre moue…

A plus forte raison que le manuel est tout sauf intuitif.

Je dois ainsi travailler mon Keith au corps pour qu’il ose daigner me donner quelques informations pratiques sur l’utilisation d’un tel engin.

A moitié rassuré, je me dirige vers un élément que je maitrise mieux, la cuisine.
Durant que le colosse fait du feu dans le foyer.

Dehors, le silence est religieux, seulement troublé par une timide faune locale.

Pas de pollution lumineuse en vue dans cet oasis perdu. Les étoiles percent de toute part cet écran noir que l’on trouve au dessus de nos tête chaque soir. Le spectacle est sublime, et vous en oublierez presque que vous étiez sorti dehors juste pour uriner à la base.

Longue journée de route, les corps sont fatigués.
Nous ne trainerons donc pas trop ce soir là.

Au milieu de la tôle, des bibelots et des outils mécaniques en tout genre, je m’écroule sur mon coin à moi, un peu à la manière d’un chien faisant mille et un tours sur lui même avant de s’allonger en boule.

Lumière éteinte, on ne se rend plus compte que le sol est principalement composé de terre, entre 2 planches de bois.
Lumière éteinte, on n’essaye surtout de ne pas penser à toutes les bestioles qui tapissent dans l’obscurité.

Le matin suivant, un café chaud entre les mains, la journée peut commencer.
Le ciel est d’un bleu azur et le soleil nous attend déjà, sourire en coin, prêt à nous donner le cancer.

Pour notre expédition du jour, le chef de chantier impose l’utilisation de 2 véhicules. J’aurais à conduire le 4×4 blanc, tandis que le boss aura entre les mains un vieux Ford break. Ce dernier à la moitié de ses clignotants disloqués, mais il dispose d’une remorque, donc on ne peux rien lui refuser, comme un premier amour qui vous ferez un clin d’oeil.

A travers les 300 mètres de piste à travers le bush, je tente de me familiariser avec ma machine. Le bruit est tellement assourdissant et l’embrayage tellement mou qu’il est compliqué de recevoir des feedbacks utiles…

Nous nous arrêtons dans un terrain un peu dégagé, avec déjà 6 massifs arbres allongés sur le sol, attendant de pouvoir dire leurs dernières volontés.

Je prend bien évidemment un soin tout particulier à fixer mon casque anti bruit, car en pratiquant cette activité, je paierais la moindre erreur chère. Après quelques derniers conseils de Keith, en particulier sur la position à adopter, je me lance.

Enfin presque…

Après de nombreux ratés pour enclencher la tronçonneuse, après avoir noyé le moteur, bref, après 10 minutes de galère, la première coupe commence enfin.

Comme lors d’un passage à l’examen de conduite, j’applique tout ce que j’ai appris à la lettre. Et même au de là. Je prend soin d’avoir de bons appuis, en plaçant mes jambes les plus en arrière possible.

Mes premières tranches furent longues et pénibles, car je faisais l’erreur d’appliquer une pression sur la machine.
Or, il faut juste la guider et laisser les lames faire leur travail.

Apres ce petit réglage, j’arrivais à troncer un peu plus vite.
Bien que le temps que je m’occupe d’un tronc, Keith finissait son deuxième…

But I did it !

J’ai tranché un tronc d’arbre comme si ce n’était que de la vulgaire confiture premier prix.

La satisfaction vient réellement une fois le boulot terminé, outils rangés, et qu’il vous reste tous vos membres. Sur le moment, la concentration est telle que je ne ressentais pas grand chose. Un petit plaisir tout de même, mais assez dissolu dans un verre d’angoisses.

Cependant le pire restait à venir, car tous ces rondins de bois, il va bien falloir les charger dans nos véhicules ! Oscillant entre 20 et 40 kg, cela m’a occasionné une bonne suée, durant que Keith récupérait un peu, son dos étant déjà douloureux.

Apres cette épopée dantesque pour moi, une routine pour le local, ce dernier me propose de se baigner dans une rivière toute proche. C’est en fait le bras d’eau où se trouvait le « pont routier » quasiment à même le sol que l’on avait franchi en arrivant.

Même si le soleil est assez intense, la rivière reste un peu trop fraiche pour moi. Un simple bain des jambes, assis sur le pont, sera amplement suffisant. Bientôt rejoins par Keith, qui se présente pour la première fois torse nue, et qui me parait ainsi plus massif que jamais.

Il se met en tête ensuite de me montrer, un peu en aval de la rivière, la présence d’une espèce de moule locale, tapis dans le sable aquatique.

Le voici donc à s’enfoncer toujours plus loin dans la rivière, aussi gracieusement qu’un géant debout dans sa baignoire. L’eau n’est pas si profonde, le niveau le plus haut m’arrivant un peu en dessous de la taille. Mais la fraicheur fait que je prend mon temps, et laisse mon Keith partir loin devant.

C’est alors qu’il me lance « come on mate, why are you so slow ? Oh, right…, you don’t want to freeze your balls ». Finesse quand tu nous tiens, volume 2. Mais bon c’est pour cela que j’apprécie la bête aussi. Elle est authentique, forgée à une époque où le monde n’était pas trop encore aseptisé. Et qu’il l’était encore moins dans son australian bush.

Rafraichis, nous retournons dans la propriété.

Ma journée d’apprenti bucheron n’est pas encore terminée pour autant.

Voila que le local me donne un cours sur l’utilisation d’une hache dans l’optique de couper du bois pour le feu. Et avec tous les rondins que l’on vient de rapporter, le travail ne va pas manquer…

Apprendre à couper du bois.
Pour se chauffer.
En Australie…

Au Canada bien évidemment, mais en Australie ??
Là où on est supposé suffoquer de chaleur toute l’année ?

Ce pays commence à être bien surprenant. En particulier sa période hivernale, qui sera source de pas mal de premières fois pour moi, toutes plus surprenantes les unes que les autres, car je ne pensais pas faire face à ces choses là avant de partir.

Cette activité, bien qu’aussi dangereuse que la tronçonneuse, m’est pour autant plus grisante à pratiquer. En effet, j’ai vu mon père couper du bois dans la ferme familiale un nombre incalculable de fois, avec des yeux admiratifs, sans pour autant avoir l’opportunité de tenter l’expérience, malgré les années passants.

C’est ainsi avec tous les complexes d’un gars de la ville, ayant pour autant connu la campagne, que je me lance dans cette tâche, et que j’embrasse. Les quelques conseils de Keith sur le placement des mains sur le manche sont des plus utiles, et je prend vite le pli.

Je fais plutôt bien l’affaire tant que le bois n’est pas dur comme de la roche.

Sous le soleil qui commence tout juste à descendre du haut de son piédestal, je donne tout ce que j’ai dans cette tâche si gourmande en énergie, mais si gratifiante au point de vue de mon histoire personnelle.

Ayant repéré lors de notre arrivée un beau point de vue à quelques kilomètres de la propriété de Keith, je lui demande si je pourrais emprunter une de ses voitures pour aller tourner une vidéo timelapse du couché de soleil.

Ce dernier accepte sans broncher.
Pas d’assurance, pas de rego (comprendre pas d’immatriculation) sur le 4×4, mais il m’assure qu’ici, c’est la zone, et que je ne vais croiser ainsi aucun policier.

J’embarque dans l’engin, avec la même excitation qu’un gamin à qui son père lui aurait laissé le volant quelques minutes.

Une fois le moteur mis en marche, et ses 100 décibels expulsées, je suis le petit chemin de terre pour sortir de la propriété, longeant des buissons à n’en plus finir.

Je me répète continuellement dans ma tête, « pense à rouler à gauche, pense à rouler à gauche ».

Une fois sur la « route », je passerais bien évidemment mes premières 5 secondes à rouler…sur la droite. Mon cerveau percute comme lors d’un réveil brusque, en panique, et je donne ainsi un coup de volant sec pour passer sur le côté gauche de la voie.

« Tu n’avais qu’une chose à penser, qu’une chose à penser merde ! » que je peste contre moi-même.
Les habitudes ont la vie dur…

Garé sur un chemin de terre surplombant une magnifique vallée verdoyante qui accapare tout l’horizon, je laisse la go pro faire son travail, tandis que je continu ma lecture du tome 2 des Mémoires de Guerre du General De Gaulle. Tout en tuant toutes les 5 minutes d’horribles grosses mouches qui viennent me saluer dans l’habitacle sans savoir comment repartir. Ca sera donc 6 pieds sous terre.

Le soleil couché, je reprend la route, en savourant ce moment de liberté.

Bordel, avoir sa propre caisse, ça serait quand même le top.