Après être passé aux rayons X, je reprend mes bagages, et remonte dans le bus.
Le chemin jusqu’à Seattle fut long, tellement long. Qu’une envie, sortir à l’air libre.

Les mains sur la tête et le visage durant tous le trajet. Il est dur de ré-freiner sa colère lorsque l’on se trouve enfermé dans une carcasse métallique. C’est un double enfermement, si l’on compte celui que je ressent à devoir partir 15 jours plus tard comme un mal propre. Ou comment se sentir enfermé dehors.

J’arrive à Seattle en fin de journée, aux alentours de 19h.
J’avais noté l’adresse d’un hostel pas trop loin du dépôt Greyhound.

Dix petites minutes de marches sous la pluie, qui se solderont par une vingtaine, car le numéro de l’hostel est vraiment bissextile, en se situant à l’angle de deux rues. J’ai ainsi fait un détour pour rien.

L’hostel a l’air bien animé, la décoration boisé rend bien, mais…il est complet !

Une femme devant moi en fait aussi l’amer constat. Mais la personne au front desk était vraiment cool, et nous propose d’appeler pour nous un autre hostel pour savoir s’ils avaient des dispos pour la nuit. Et ce fut le cas. Merde, ce petit jeu « vais-je dormir dehors ? » est déjà terminé.

Je me repère sur un plan que l’on m’a donné, change d’itinéraire en cours de route car je m’aperçois qu’il sera plus simple, et en avant Guingamp.

Vingt minutes sous la pluie et dans l’obscurité d’une ville inconnue. A vérifier chaque croisement si la direction que l’on prend est la bonne. De plus, je n’avais pas mes chaussures de randos aux pieds, que mes baskets, qui prennent l’eau…

La douche une fois arrivé n’en sera que plus bonne.
J’ai beaucoup de défauts, mais j’ai au moins l’adversité pour moi.

Le downtown est peuplé d’homeless, et alors que j’arrive presque à destination, plus qu’à tourner à gauche à la prochaine intersection, un grand rassemblement de ces abandonnés de la vie se trouve pile à cet angle de rue.

Ca a l’air de bouger un peu, de s’exciter les uns les autres.
Soupe populaire ? Distribution de pain ? Meeting de tuning de caddie ?

Non rien de tout cela. Un bar se trouve à l’angle de cette rue, et il diffusait le match 7 de la NBA, la finale. Mes gentils désœuvrés étaient donc tous agglutinés sur les vitres extérieurs pour suivre le match sur les écrans de télévision du bar. Au temps pour moi…

Arrivé à l’hostel, je book une nuit.
C’est un HI, très grand, assez différent de ses cousins canadiens, mais j’aime assez le style. Qui résume assez Seattle.
Déco à la fois maritime, avec un peu de rock’n’roll et d’underground.

Je dépose mes affaires, et redescend aussitôt en espérant trouver un fast food ou un truc du genre.

Faute grave.
Je me trouve en plein Chinatown, et j’ai beau faire plusieurs pâtés de maisons, je ne trouve que du restaurant chinois.

Toujours sous la pluie et dans la nuit, je n’ai pas vraiment de temps à perdre pour cela. Ca sera donc dîner ching chong ce soir. Mais je fais encore mon petit tour pour aller au moins cher.

Au final je m’arrête dans un restaurant tout près de mon hostel

21h, ce petit restaurant est censé être fermé mais finalement je peux être servis.
Si je suis entré, c’est pour un petit plat de nouilles au bœuf à $6.
Que je mangerais seul, dans la salle complètement vide.

Mon serveur du jour était le père ou le grand père de la gérante. Très âgé, parlant un anglais très approximatif, mais très accueillant. J’ai eu droit à mon thé gratuit dès mon arrivée ! Ce n’est pas ce que j’affectionne le plus, mais après avoir passé une grande partie de la soirée sous la pluie, la moindre boisson chaude est d’un grand réconfort.

Avant de me coucher, grosse session internet pour essayer de trouver une solution à mon problème de visa. Aucune solution pour mon cas précis. Je cherche une autorité compétente américaine mais rien. Tout ce qui existe se limite aux citoyens américains et aux nouveaux immigrants. Il me reste le consulat français, dont une petite antenne est présente sur Seattle.

Je m’y rend le lendemain matin. Je ne dirais pas avec pleins d’espoirs, mais du moins avec l’espérance de glaner quelques infos. Ah…ah. Je ris jaune un peu trop souvent en ce moment.

Je tombe sur un grand open space, partagé par plusieurs pays, qui ont chacun leurs délégués.
J’arrive à la poule française. Je tombe sur une jeune fille qui n’avait peut être même pas 25 printemps. Un peu affolée par ma venue, elle appelle sa responsable pour qu’elle puisse m’aider.

A peine plus âgée que l’autre, je lui explique en détail mon problème.
Elle me prête une oreille attentive. Mais au final je lis vite son désemparement.

Aucune info à me donner, même pas un début de piste. En gros « j’y connais rien ». Elle me donne juste les coordonnées de l’ambassade française sur la côte ouest U.S, qui se trouve à San Francisco.

Ce fut donc une vaste blague, où j’ai eu l’impression au mieux d’être tombé sur deux stagiaires, au pire sur deux filles à papa qui ont été parachutées là pour se la couler douce.

Il est vendredi midi. L’ambassade est fermée le week-end.
Je dois absolument leur passer un coup de fil dans la journée. Mais où ?

Vu que je n’étais qu’à quelques minutes de la première auberge de jeunesse, je tente ma chance sur place. On y trouve souvent des téléphones. Arrivé au front desk, je tombe sur une fille super sympa, qui me propose carrément d’utiliser son téléphone de boulot, même si je n’étais pas un client. Moi j’étais près à payer un téléphone public mais bon, tant mieux je prend !

Mais les choses n’étant jamais simple en ce bas monde, je tombe sur une messagerie, deux fois de suite.
Ca doit être la pause déjeuner…

C’est pas tout cela, mais je dois aussi me rendre chez mon couchsurfer, qui habite dans West Seattle. Qui n’est pas trop loin du downtown lorsque l’on a l’habitude, mais lorsque l’on ne connaît encore absolument rien au système de réseau en commun du coin, c’est tout de suite l’aventure.

Vu qu’on blague pas mal avec la personne au front desk, je lui demande le meilleur chemin. Et elle me propose de prendre le ferry, car l’arrêt est tout proche d’ici. Je regarde sur le plan, ça m’amène au nord de West Seattle. Je n’aurais plus qu’à marcher 20/30 minutes vers le sud pour arriver à mon adresse. Je n’avais pas envie de me prendre la tête avec les bus, et marcher n’est pas un problème. Je dis banco.

Arrivé au taxi ferry, je prend un ticket, $6.
Prochain départ dans une demie heure.
Bon soit. Il fait beau, je patiente sur le quai.

Le fait de me poser me permet d’oublier un peu mes problèmes, et de remettre mon cerveau en mode touriste. Ce qui n’est pas chose aisée lorsque tous vos plans tombent à l’eau.

Mais je profite.
Du front de mer, de la houle.
Des docks, de l’odeur marine.

Un petit retour aux sources pour un havrais.

Le ferry arrive, je m’installe au premier étage, à l’air libre.
Le soleil tape durement, une rafale de vent sur le visage ne ce fera que bien sentir !

$6 c’est un peu cher pour la traversé downtown/West Seattle, qui dure 10 minutes.
Mais c’est un excellent plan pour avoir une super vue sur le centre ville.

J’admire donc la ville, qui s’étend devant mes yeux, à mesure que les pales du ferry expulsent l’écume, qui s’efface petit à petit, avalée par l’ogre Océan Pacifique.

Cheveux aux vent, lunette de soleil. Grand downtown devant moi, drapeau américain fouetté par la brise à ma droite. Je commence à apprécier la chance que j’ai de me trouver ici, et de prendre du plaisir.

Et j’ai bien fait, car la prochaine heure sera un vrai supplice !

Une fois arrivé sur le quai, je me repère aussi bien que je peux. Je n’ai qu’un plan assez succinct, avec juste le nom des grandes intersections.

Impossible de retrouver des routes connues, c’est très ambiance résidentielle ou terrain vague dans le coin. Je fabrique donc mon chemin en coupant à travers des petites routes reliant des pavillons. Mais cette partie de West Seattle est inclinée à un degré inimaginable. Une vrai étape de montagne. Ca ce n’était pas visible sur googlemap !

Je grimpe plus que je ne marche, et avec le soleil et mes deux sacs sur le dos, j’ai vite fais d’être essoufflé comme un asthmatique. Cependant le chemin est le bon, les numéros de rues correspondent.

A force d’abnégation j’arrive enfin sur la rue que je voulais, plus qu’à marcher encore vingts minutes sur du plat. Je repère l’appartement, et fait demie tour pour me poser dans un Starbuck. Notre prise de contact s’est faite un peu à l’arrache, je lui envoie donc un email pour savoir vers quelle heure je peux passer.

Je dois attendre 2h. Au lieu de lézarder dehors, je me motive pour faire du porte à porte dans le quartier pour avoir accès à un téléphone pour appeler l’ambassade.

Mais comme déjà dis, c’est très zone industrielle/no man’s land, donc je tente ma chance vraiment dans tous et n’importe quoi : bowling, boutique de papeterie, station essence, etc…Aucun téléphone public en vu. Quelques commerçants m’auraient bien laissé utiliser leur combiné, mais vu que ce n’était pas un appel local (je suis à Washington et je dois appeler en Californie) cela les gênaient un peu.

Je tombe sur une sorte d’Eglise. Je me dis merde, la maison du bon dieu, ils ne pourront pas me refuser un coup de fil ! Mais la porte du bon dieu était close.

Retour à Starbuck, j’ai assez brassé du vent pour la journée !

Je vais donc séjourner chez Anastacia.

Elle logeait déjà un autre couchsurfer, mais m’avait laissé une possibilité si vraiment je ne trouvais personne d’autre. Les places étant chers je n’ai pas trouvé autre chose.

Anastacia m’accueille en fin de journée.
Assez froide au départ. Peut être son origine russe qui remonte.

L’immeuble est composé de cinq étages, ultra moderne et récent.
Un style très lounge, très épuré. L’appartement est spacieux, et j’aurais à partager le salon avec l’autre couchsurfer.

Elle me fait un tour de la propriété.
Encore un immeuble vraiment privilégié, comme on en trouve tant en Amérique du Nord.

Salle de gym, grande pièce à vivre commune avec télévision et cuisine, grande terrasse également commune avec barbecue et avec une vue superbe sur le downtown de Seattle. Ah je vous le dis ça vend du rêve ! Ils ont aussi un chien husky super friendly 🙂 Oui ils, car Anastacia vit avec Nate, un américain originaire de la côte Est.

Après qu’elle m’ait indiqué l’arrêt de bus le plus proche, je me rend seul en ville pour enfin me balader un peu dans Seattle. 15 minutes plus tard, me voici dans le downtown. Ici les tours sont vraiment grandes et nombreuses. Mais vous trouverez toujours en chemin des bâtiments plus anciens, en brique, qui cassent l’aspect trop modernes et froids de ces grands building.

La chose qui choque ensuite c’est le nombre ahurissant de sdf dans les rues.

Et ce n’est pas un ou deux isolés à chaque pâté de maison, non. C’est plutôt des rassemblements de cinq à dix personnes à chaque block. Ce qui choque ensuite, c’est, si l’on peut dire ainsi, le manque de « diversité » de cette population. A 95% des afro américains. La fin de la ségrégation, la mise en place un peu plus tard de la discrimination positive n’ont au final fait évoluer que relativement les choses.

Notre système d’intégration est bouché depuis longtemps.
On ne peut pas dire que cela soit plus brillant côté américain.

Le soleil se couche, et ajoute une touche californienne au downtown et au front de mer avec cette teinte orangée. Je me décide de me rendre le plus au nord possible pour prendre le centre ville à la tombée de la nuit. Je me retape des rues à 90°, trouve une vue sympa mais finalement un peu gâchée par des câbles électriques. Il se fait tard, je n’ai plus de jambes, je m’arrête donc là.

En rentrant sur West Seattle, je fais enfin connaissance avec l’autre couchsurfer.

Un hollandais de 22 ans, vraiment sympa et ouvert. Qui a passé quelques mois au Canada, et a fait un an d’étude à Toulouse dans le passé. Nous avons donc beaucoup de choses à nous raconter !

Anastacia rentre un peu plus tard, beaucoup plus souriante.
Le temps d’adaptation est passé il faut croire.

Le lendemain, un samedi, on se fait sortir par nos hôtes.
Nate nous a parlé d’un festival assez amusant qui se déroule à cette époque de l’année.

Le Fremont Parade.
Il se situe dans la banlieue nord de Seattle.

Vous y trouverez :

Une course cycliste où les participants sont nues, parties honteuses incluses.

Une grande parade qui défile dans tout le secteur, où les chars et les participants rivalisent d’ingéniosité pour paraître le plus n’importe quoi possible. Avec succès.

Des concerts dans des podiums aménagés, avec bars temporaires sur le côté. Ainsi que des tonnes de caravanes de bouf sur toutes les rues.

Des concerts avec des fanfares locales un peu partout, et spécialement sur une petite butte, qui donne une vue sur le front de mer et le downtown. Splendide atmosphère où tous les spectateurs sont réunis en cercle . Chaque troupe à son style propre, et apporte son univers durant vingt minutes, et s’auto-encourage, entre deux changement d’orchestre. En plus d’avoir un univers propre, chaque troupe met en scène sa prestation, en faisant des petites chorégraphies, ou juste en bougeant dans tous les sens avec le public. Même les non amateurs de fanfares ne pouvaient qu’apprécier le moment. Mention spécial à celle avec leur univers d’apocalypse vraiment atypique. Et à une troupe Xbox (tous les membres portaient un tshirt de cette compagnie), pour avoir joué un titre de Rage Against The Machine dans une ambiance de dingue. Priceless. Tout était vraiment énorme.

En résumé…un grand, grand foutoir gigantesque.

Des gens par milliers, des rues bondés de personnes looké de façon grotesque et burlesque.
De la musique partout, des mini raves où l’on danse de façon tribal.

Mais tout cela dans la bonne humeur, très familial. Personne ne se prend au sérieux, tout le monde fait un peu n’importe quoi, mais ce n’est pas un n’importe quoi malsain. C’est joyeux, et on sent que toutes les personnes présentes apprécient de pouvoir se relâcher ainsi, le temps d’un week end.

C’était un peu l’esprit de San Francisco de la bonne époque, mais à Seattle.

Nate nous dira d’ailleurs qu’un truc de ce genre à SF ne le choquerait pas, car on s’y attend. Mais ici c’est vrai que cela surprend plus, d’assister à quelque chose d’aussi extrême.

De mon côté, moi qui refuse de prendre les choses de manière binaire et manichéenne, ce festival me conforte dans cette idée. En effet on entend à longueurs de journées en France au sujet du puritanisme américain. Qui est une réalité, il n’y a qu’à se rappeler l’épisode Janet Jackson au Superbowl, et du fameux bout de sein qui a outré l’Amérique.

Mais il est bien difficile d’englober toute une population dans le même panier. Car ce que j’ai vu ce week end était mille fois pire. Avec en mignon, un couple en tenue d’Eve et D’adam courant joyeusement à travers le parc, et en apogée un mec bien membré, portant juste un casque spartiate, planté toute la journée près d’une buvette, et se faisant prendre en photo de temps à autre.

Ma réflexion personnel est que cela fait du bien de voir une si grande ville, avec des gens si sérieux toute l’année, péter un câble collectivement. Je trouve cela plutôt sain.

Je me fais violence pour passer un peu la vitesse supérieure dans mon récit, malgré pleins de petits épisodes que j’aimerais bien raconter ! Je me limiterais à dire que l’on s’entend vraiment super bien tous les quatre, et que je suis chanceux d’être tombé sur ces gens.

Le lendemain, petite visite au Seattle Underground Tour.

Visite guidée vraiment intéressante, où l’on parcours le sous sol de la ville, en apprenant beaucoup sur son passé. La ville a ainsi connu un grand incendie au début du siècle dernier, et l’option choisi a été de construire par dessus l’ancienne ville, et non de tous raser. Les rez de chaussé sont devenus des sous sol, et les anciens premiers étages des rez de chaussé. Vous suivez ?

Cela a pris quelques années pour finir les constructions, et les habitants ont du donc durant longtemps utiliser une échelle pour rentrer chez eux (pour accéder à leur ancien premier étage qui était maintenant leur rez de chaussé). Et le fait amusant est qu’il n’y a eu aucun mort durant le grand incendie (Seattle étant tout en bois les habitants ont juste regarder la ville brûler), mais on compte un certain nombre de morts durant les années de reconstructions, car de nombreux hommes trop alcoolisés tombaient de leur échelle en rentrant chez eux…

Le lendemain je quitte Seattle pour Portland.

Pas plus de nouvelles au sujet de mon problème de visa, mais je décide de continuer ma descente vers le sud. Le consulat français se trouvant à San Francisco, peut être que j’aurais moyen de le solutionner sur place. Vu que de toute façon j’avais prévu de me rendre dans cette ville.

Mais encore une fois rien ne c’est déroulé comme espéré…